Ils cheminaient sur la route, encadrés de près par les hommes du Baron Noir, qui juché sur un énorme cheval de labour, les dominait, lançant de temps à autre des ordres brefs d'un ton sec. Ils gravirent une colline arborée, un authentique château la dominait. On distinguait déjà deux tours de garde et le donjon qui surplombaient l'édifice, offrant une vue dégagée sur toute la région. Thorq apprécia les défenses, repéra le double système de ponts-levis qui permettait d'isoler complètement le château en cas d'assaut et les nombreuses meurtrières qui laissaient dépasser des nez de balistes.
Ils franchirent bientôt le premier pont-levis qui enjambait des douves d'une dizaine de mètres de large. Il menait à un châtelet d'entrée défendu par des gardes lourdement armés qui s'écartèrent avec respect au passage du gros Baron. Une herse sur laquelle débouchait le second pont-levis se souleva à leur passage et ils purent enfin pénétrer dans la cour intérieure du château. Le baron lança un coup d'oeil satisfait à des soldats en arme qui s'entrainaient au maniement de l'épée sous les ordres d'un sergent en armure. Il héla un jeune homme, plus grand que ces compagnons, qui avait interrompu ses passes d'armes à l'arrivée de leur groupe.
Le baron descendit de cheval, tendit la longe à son écuyer sans même lui jeter un regard et accueillit le jeune homme d'une tape sur l'épaule. Il vacilla légèrement sous la charge. Il le tourna vers le groupe du Conteur.
- Mon fils, Barnabé, qui régnera un jour à ma place.
- Puisse-t-il gouverner avec autant de sollicitude et de mansuétude que vous, susurra Le Conteur.
Le Baron ne daigna même pas relever. Il se dirigeait d'un pas lourd vers un bosquet de chêne poussant le long de la muraille. Ils le suivirent et découvrirent avec stupeur des cages accrochées aux branches les plus épaisses des plus grands arbres. Elivre retint un cri en découvrant un squelette dans l'une d'elles. Il réalisa avec horreur que toutes les cages étaient occupées. Un gémissement s'échappa de l'une d'elles. Un prisonnier était encore en vie. Le corbeau qu'il avait dérangé dans sa plainte, s'échappa par les barreaux de la cage, décrivit un large arc de cercle au-dessus des murailles du château, avant de revenir se poser sur le sommet de la cage, son oeil noir et jaune rivé sur le malheureux qui gisait dans la paille souillée par le sang et les excréments.
- Qu'on fait ses hommes pour mériter pareil traitement ? s'enquit Le Conteur.
- Hélas, messire de Malakie, même le plus attentionné des Seigneurs se voit parfois en butte avec l'adversité de fauteurs de troubles qui remettent en cause sa légitimité. Cet homme que vous voyez, il désignait un cadavre aux yeux et aux joues arrachés par les charognards, c'est introduit dans mon donjon déguisé en serviteur et a tenté de m'assassiner dans mon sommeil. Hélas pour lui, il ne savait pas qu'un garde personnel veille sur mes songes.
Il prit place dans un trône au pied du plus grand des arbres. Un serviteur se précipitait déjà, lui présentant un plateau orné de saucisson, d'amuses gueules et de pâtisseries de toutes sortes. Une jeune fille, cout vêtu, dont les yeux effrayés s'agitaient en tout sens, lui tendit un gobelet qu'elle remplit de vin à l'aide d'une cruche, tandis que le Baron lui caressait langoureusement les fesses. Ses petits yeux noirs à moitié plissés de plaisir restaient plantés dans le regard du Conteur. Il avala à grands traits, séchant le contenu du gobelet d'un seul coup et le rendit à la jeune servante. Elle se pétrifia. Sa main aux doigts obèses lui triturait vicieusement la poitrine. Il écarta le tissu qui le gênait puis repris sa présentation tandis que le regrat d'Elivre allait de la poitrine rougie par le mauvais traitement aux cages o^séjournaient les malheureux.
- Dans cette cage-là séjourne le serviteur qui s'est laissé dépouillé de sa tenue, manquant de provoquer par la un affreux régicide. Sur votre droite, sa voix prenait l'intonation d'un guide faisant visiter un site médiéval, vous pouvez admirer un triste individu qui a osé s'élever contre le sort de son frère, le jugeant trop cruel.
- Quel affront confirma le Conteur. Il donna en même temps un coup de coude dans les cotes d'Elivre qui ouvrait déjà la bouche. Il la referma, retenant sa remarque.
- Et comment !
Son visage s'éclaira. Sa main quitta les mamelons de la jeune fille qui s'éloigna à reculons, saluant tous les quatre pas, sans même prendre la peine de cacher sa poitrine. Elivre se détourna et sembla s'abimer dans la contemplation du donjon.
- Le ver étant dans le fruit, je me suis vu contraint d'héberger toute sa famille dans mon petit jardin. N'imaginez pas que je l'ai fait de gaité de coeur, mais, comme vous le saviez, un chef se doit de se montrer ferme s'il veut se faire obéir de ses sujets.
Le conteur ne put empêcher sa bouche de se plisser lorsqu'il découvrit un petit cadavre dans la cage la plus éloignée. Il s'approcha. Il reposait en position foetale, la tête posée sur ses avant-bras. L'enfant mort lui tournait le dos et le conteur s'en félicita. Il se promit, sur le corps du malheureux, de délivrer la région de se baron de malheur. Son regard croisa celui de Thorq. Ils s'étaient compris.
- Aidez-nous. Par pitié, aidez-nous!
Le Conteur n'était pas au bout de ses macabres découvertes. L'ombre des chênes centenaires cachait une dernière cage. Un homme, à genoux, fixait le conteur, ses mains agrippées sur le torse d'une jeune femme. Il hoqueta en s'apercevant que le visage de la malheureuse était strié de plaies béantes. La peau pendait par endroit. Elle ouvrit la bouche, avalant à grand-peine une goulée d'air, dévoilant des gencives sanguinolentes. Elle expira une bulle d'air chargée de sang. On lui avait brisé toutes les dents. Une course précipitée détourna son attention.
- Espéce de malade ! Gros Porc ! mais qu'avez-vous fait à ces gens !
Elivre n'observait plus le donjon. Le jeune garçon avait littéralement escaladé le Baron assis sur son trône et lui donnait de grandes gifles à l'aide du magazine qui ne le quittait jamais. Un garde le tirait en arrière, mais son bras crocheté au cou du baron tenait bon tandis que l'autre continuait de le matraquer. Un deuxième garde s'approcha, l'épée haute. Avant qu'il n'ait le temps de trancher le cou d'Elivre, Thorq abattit son énorme poing sur le crâne du jeune garçon qui s'effondra sur le trône, en travers des genoux du gros homme.
Elivre profita de la confusion pour glisser un poignard dans sa manche. Le Baron repoussa du pied le garçon inanimé en piaillant.
- La cage ! La cage ! hurlait-il, son double menton tressautant d'émotion. Mettez-le dans la cage et qu'on m'amène un peu de vin, je me sens défaillir.
La servante refit une apparition. Elle s'était rajustée. Elle eut le temps de lancer un bref hochement de tête à l'attention du Conteur avant de reprendre place aux côtés du Baron dont les mains tremblantes se réfugièrent sur la douceur de ses fesses.
Deux soldats emmenèrent le garçon inanimé tandis que d'autres convergeaient sur Thorq et le Conteur. Ils se laissèrent emmener sans se défendre jusqu'au donjon où on les enferma dans des chambres séparées. Le Conteur se précipita à la fenêtre, sitôt la porte refermée, et contempla, à travers les barreaux rouillés, Elivre qu'on jetait dans une cage avant de la hisser à plus de six mètres de haut. Le Baron la suivit du regard pendant toute la durée de son attention, les mains caressant toujours la jeune fille. Un sourire cruel. Il tourna la tête et fixa le Conteur qui frissonna sous l'intensité du regard malgré la distance.
Il caressa la dague qu'il avait dissimulée dans sa manche.
Il ne lui restait plus qu'à imaginer la légende de l'homme qui avait rasé un château muni d'un seul poignard.
L'histoire la plus difficile qu'il n'ait jamais imaginée.
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La Mort Double
FantasyLa Mort Double a frappé. Les morts se relèvent et se nourrissent des vivants. Des décennies après l'apocalypse, des légendes fleurissent. On parle d'un homme mi humain, mi zombie, capable des prouesses les plus folles. Certains disent qu'il peut tue...