12 || Des frissons dans le dos

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- Tu t'es coupée les cheveux ?

M'a demandé Mike revenant du hockey, les cheveux trempés par la pluie et son énorme sac dans le dos. J'ai haussé les épaules. Qu'est-ce que ça pouvait lui faire, sérieusement ?

- Sully ?

- Ta gueule.

J'en avais marre de l'entendre. Marre de voir sa tronche.

Il a fait trois pas vers moi et m'a saisit le bras pour me relever du fauteuil d'un mouvement brusque. Mes cheveux ont volé en tout sens et la froideur de sa main gelée a traversé la manche de mon gilet en un éclair.

- Mais c'est quoi ton problème ?! A-t-il beuglé sur ma face.

D'un mouvement de bras je l'ai fait lâcher prise et je l'ai repoussé de toutes mes forces. Il a chancelé en arrière.

- Fous-moi la paix.

Je me suis laissée retomber sur le canapé, et sans même reposer un regard sur lui j'ai repris mon téléphone sous mes yeux.

- T'es complètement timbrée. A-t-il soufflé en s'éloignant vers sa chambre.

J'ai écouté ses pas marteler lourdement l'escalier et lorsque sa porte eut violemment claqué, je me suis ruée vers les toilettes où j'ai vomi une nappe de pétrole.

Tous les matins je dois avaler deux cachets, un pour les inflammations d'estomac, l'autre pour les crises d'angoisse. Je ne sais pas ce qui m'a pris aujourd'hui, j'ai pris un cachet, un deuxième, et finalement, j'ai vidé la plaquette. J'ai comaté toute la matinée sans arriver à dormir, la gorge en feu, et depuis que je me suis relevée, je n'ai fait que vomir du sang.

En sortant des toilettes, Mme Horrine m'a attrapée par l'épaule et m'a traînée jusqu'au salon où elle m'a fait asseoir sur une de ses chaises immondes en osier.

- Il faut qu'on parle toutes les deux.

- De quoi ? J'ai répondu d'un ton agressif.

- De toi.

Je l'ai regardée sévèrement, je savais qu'elle ne voulait pas parler de moi, mais de Mike, ou plutôt, de la façon dont je me comportais avec son petit merdeux.

- Je comprends que tu traverses une période difficile en ce moment mais...

- Mais quoi ?

Ses doigts osseux se sont crispés sur sa nappe fleurie et ses sourcils ont tiqué. Je l'énervais déjà.

- Je devrais faire un effort ? C'est ça ?

- Ce serait déjà un bon déb...

- Un début à quoi madame Horrine ?

- Sully, stop, j'essaye juste de...

- De quoi ?

Je me suis redressée et j'ai posé mes deux coudes sur la table.

- De-quoi ? exactement. De faire en sorte que tout aille pour le mieux ? Pour moi ? Ou pour vous ? Je vous fais chier ? C'est ça ?

- Ne commence pas à...

Du revers de la main, j'ai envoyer son vase s'éclater contre le carrelage et les fleurs se sont répandues sur le sol, suffoquant entre les gouttes d'eau. Mme Horrine s'est brusquement levée de son siège et a flanqué ses deux mains à plat sur la table, me regardant de ses yeux les plus sévères, mais ils ne me faisaient rien, plus rien ne me faisait quelque chose de toute façon, même cette plaquette entière de médicaments à la con avait été incapable de me tuer, seulement de me rendre malade.

- Vous savez que votre fils est un gros con, vous l'avez toujours su, mais depuis que je suis ici c'est devenu facile pour vous, hein, de vous dire que c'est à cause de moi s'il est comme ça.

- Ce n'est...

- Si c'est la vérité ! J'ai hurlé.

Silence, calme plat. Des larmes ont commencé à fondre sous ses paupières rouges, mais elles ne coulaient pas. Pas encore, du moins.

- C'est facile pour vous, j'ai qu'à essayer de faire un effort pour aller mieux, j'ai qu'à faire ci et ça et peut-être que j'arriverais à être heureuse. Il faut juste que j'y mette un peu du mien et c'est tout.

Elle n'a pas répondu, parce que j'avais tapé dans le mille. Ça la faisait chier de voir ma tête de dépressive tous les matins, ça la faisait chier de me voir broyer du noir, rester dans ma chambre à chialer en silence, ça la faisait chier que je sois là, à ternir sa petite vie de bonheur et de joie, à saloper ses photos de famille avec mes cernes et mon teint de cadavre, à voir la mort dans mon visage à chaque fois que je traverse un couloir. Je sais bien ce qu'elle aurait souhaité, que je fasse au moins semblant de ne plus avoir mal.

- Eh bien je suis désolée. J'ai soufflé, la gorge nouée. Mais je n'y arrive pas.

Je me suis levée de table et je suis sortie dehors.

Je voulais me tuer, mais je n'y arrivais pas. En bas du pont, je voyais Lucas, en haut des immeubles, je voyais Lucas, et même sur mes plaquettes de médicament, je voyais Lucas. Je continuais à vivre pour lui, mais j'étais un déchet sur pattes, un déchet mort de l'intérieur. Je voulais l'appeler, mais je n'ai pas osé. Ça m'était égal de ternir la petite vie de bonheur de Mme Horrine, mais pas lui, pas la sienne. Je me suis arrêtée sous un pont qui puait la pisse et le rat crevé. Je voulais pleurer, mais j'avais peur qu'on m'entende, qu'on vienne me voir alors que je voulais être seule. Puis l'orage a éclaté, et tout est sorti de mes poumons. Larmes, cris, sang, douleur.


***********



Il s'est passé un truc vraiment étrange lorsque je suis rentrée hier soir...

Il devait être passé minuit, le ciel était complètement noir, je puais la merde et j'étais trempée jusqu'aux os. Je me suis traînée jusqu'à ma maison d'accueil où je suis rentrée en douce jusqu'à ma chambre. J'avais le tournis et l'impression que mon cerveau baignait dans la flotte, tapant contre mon crâne à chaque mouvement un peu trop brusque. J'ai vomi un dernier coup dans l'évier de la salle de bain puis je me suis laissée tomber sur mon lit, sans prendre le temps de me changer ni rien.

J'étais mal. Des filets de sang et de bave coulaient le long de mes lèvres sèches, mes cheveux collaient à mon front et à ma nuque trempée, j'avais chaud à l'extérieur, froid à l'intérieur, je frissonnais et je suais, j'avais envie qu'on m'achève.

Puis quelqu'un est entré, et j'ai deviné que c'était Mike sans en être sûre. Il s'est assis à mon chevet et a passé une main sur mon front. J'ai d'abord eu le réflexe de la repousser parce que d'une ; c'était Mike, et de deux ; je me trouvais vraiment dans un état gore, mais il m'a retenu le poignet et je n'avais pas la force de me battre, alors je l'ai laissé faire.

Ce matin, je me suis réveillée presque comme une fleur. Mes cheveux puaient toujours les égouts, mais je me trouvais dans mon pyjama qui sentait bon la lavande. J'avais même un gant de toilette sur le front, et j'ai compris au thermomètre qui se trouvait sur ma table de chevet qu'on avait pris soin de moi.

Que Mike avait pris soin de moi.

Et ça, ça m'a vraiment fait un drôle de frisson dans le dos.





Hello Scott   /Histoire terminée ~♥/Où les histoires vivent. Découvrez maintenant