Chapitre 2

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Je me réveille en sursautant. Dans la pénombre de ma chambre, je distingue une forme blanche et immobile. J'allume la lumière et le monstre redevient livres et feuilles de papier appartenant à l'école. Toujours le même cauchemar... Je regarde mes bras. Les marques que j'ai depuis mes huit ans palpitent plus que jamais. Est-ce à cause de mon entrée récente dans cette école ? Peut-être mais vous me direz, pour quelqu'un qui a été infectée par le Mal, je m'en sors plutôt bien. Il faut juste que mes bras restent cachés et tout ira bien.

Tout ira bien...

C'est exactement ce que m'a dit Madlon, le bûcheron qui m'a élevée, lorsque j'ai pris la décision de partir à la recherche de mes parents.

Pour l'instant, je n'ai aucun indice. Je continue d'espérer qu'un jour, un homme et une femme me regarderont comme personne ne m'a jamais regarder, passant de mon œil à mon médaillon, et qu'ils murmureront "Hemli" qui est mon prénom. Je me jetterai alors dans leur bras et on pourra recommencer à vivre. Mais ce jour n'arrivera peut-être jamais... Etant donné qu’ils m’ont abandonnée parce que je suis maudite, ça m'étonnerais que ça se passe comme ça.

Voyez-vous, être maudite, c'est comme avoir une maladie incurable à ce jour. On fait avec mais ce n'est pas toujours facile. Les marques se font de plus en plus brûlantes au fur et à mesure que j'apprends à maîtriser ma magie, et l'iris de mon œil est plus rouge que jamais. Eclairé d'une lueur intense, la tâche qui recouvre le vert de mes yeux a grandi. De plus, mes cheveux, habituellement parcourus de mèches blanches, sont maintenant presque entièrement noirs.

Il n'y a aucun remède.

Je suis sûrement condamnée.

C'est ça, être infectée par le Mal.

 Je me lève et m'habille. Dans l'école où je suis arrivée une semaine avant le début des cours, il n'y a pas d'uniforme. Je me poste devant le miroir de ma chambre. Je suis plus sombre que jamais... Je vais faire peur aux autres si je continue à pâlir ainsi.

Aujourd'hui se tient le comité d'accueil aux nouveaux élèves. On nous réunit dans une salle, le directeur fait son discours de bienvenue, on trinque, on mange, on discute, on fait connaissance...

Je n'ai pas envie d'y aller. Je n'ai pas l'habitude d'être confrontée à la foule. En même temps, lorsqu'on a vécu toute son enfance dans la forêt de Mirdwood, la transition est dure...

Je descends, pied nus, du dortoir des filles. Ici, je suis un peu en pension, je n'ai pas de foyer à moi comme certains, j'ai une chambre et ça me suffit. De toute façon, je n'ai pratiquement pas d'affaires : quelques habits, mon médaillon et le carnet de ma mère sont les seules choses que j'ai emporté lors de mon départ de la maison.

Je sors dans les rues pour aller jusqu'aux champs, près de la Limite. La Limite, c'est la fin de la ville et le début d'un monde dangereux, sous l'emprise du Mal. Je sais que dans mon cas, je devrais éviter de m'en approcher mais je veux montrer que je suis encore maître de mon corps et que je peux résister à cette partie de moi qui me crie de franchir la Limite.

Je me promène dans les champs, je sens la rosée sur mes pieds et les diverses bestioles qui grouillent sur le sol. Bientôt, les herbes atteignent le bas de ma longue jupe fendue. C'est jusque là que j'avais prévu d'aller. Pas plus loin. Les anciens habits de ma mère décident.

Je regarde un instant le soleil qui pointe à l'horizon puis je me fais une violence et rebrousse chemin.

Lorsque j'arrive à l'école, c'est l'effervescence. Tous les élèves se ruent vers la salle de banquet, celle des grandes annonces. Je remonte en quatrième vitesse dans le dortoir, prenant bien soin de cacher mon coude gauche et mon épaule droite dans mes cheveux. Il ne faut pas que quelqu'un sache... Arrivée dans ma chambre, je ferme la porte et m'y adosse en poussant un soupir de soulagement. J'enfile mes sandales, et un long manteau aussi noir que mes cheveux car le haut de ma mère n'est qu'un simple bustier très court, qui laisse le ventre et les bras à l'air. C'est risqué mais je me sens plus rassurée quand je porte cette tenue. Un peu comme si la mère que je n'ai jamais connu était là, avec moi.

Je me peigne un peu, me regarde dans le grand miroir, puis sors.

Lorsque j'arrive à la salle, presque toutes les places autour des tables sont prises et je suis obligée de m'assoir à côté d'une fille aux cheveux bleus qui me regarde avec animosité. Une sonnerie retentit, les portes se ferment et le directeur se lève.

"Bonjour ! Et bienvenue à nos nouveaux élèves ! s'exclame-t-il avec un sourire plein de dents archi-blanches. Cette année, comme chacune des précédentes, nous accueillons de nouveaux élèves aussi, je demande aux "anciens" de leur faire bonne figure en se rappelant leur première année ici !

Je soupir. Est-il toujours aussi... naïf ? Tu parles, les anciens, ils s'en fichent de nous... Je décide de ne plus écouter jusqu'à ce qu'un passage attire on attention.

- Comme vous le savez, nos cours, assurés par nos professeurs aussi agréable que compétents, visent à se défendre contre le Mal, qui hélas, a refais son apparition dans les Terres Lointaines, situées derrière la Limite.

Le Mal... Mes marques recommencent à me brûler.

- Je souhaite qu'aucun d'entre vous ne franchisse la Limite, sous peine d'une lourde sanction ! Le Mal reste un ennemi redoutable malgré ses points faibles encore très nombreux à ce jour.

C'est la goutte d'eau. Je sens mon intérieur qui bouillonne et une larme de sang qui coule de mon œil droit. La tête me tourne, je me lève pour m'en aller, fuir mais le sol se dérobe sous mes pieds et je m'évanouie.

Maudite, tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant