Chapitre 9 : Exploration.

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Je m'émerveillais devant le spectacle resplendissant de notre Terre renouvelée.

Mais je voyais bien que ma mère ne partageait pas mon extase. Elle avait une mine sombre et les yeux perdus dans l'horizon lointain. Elle me paraissait plus vieille d'une dizaine d'années. Et ça m'attristait de la voir dans cet état.

-"Maman...Tout va bien ?" Lui demandai-je, en pensant que cette question était totalement idiote.

-"Oui, Ethan. C'est juste que revoir tout ça... C'est si différent, si étranger maintenant. J'ai l'impression que ce n'est plus notre monde. Que nous n'avons plus rien à faire ici, que nous sommes devenus des intrus." Me répondit-elle platement. Mais ce n'était qu'une apparence. Il y avait des larmes tremblantes dans sa voix.

-"On fait quoi maintenant ?" Interrogeai-je pour changer de sujet.

-"J'aimerais qu'on rentre chez nous." Me dit-elle.

Ma mère alluma le détecteur de radiations sans rien dire de plus. J'entendis de petits "bibs" discrets et des grésillements désagréables sortir de l'engin. Je ne savais pas ce que signifiaient ces signaux. Et je ne voyais pas l'expression de ma mère sous son masque. Était-ce un signe de radiations ?

Je la suivais parmi les décombres. Elle était plutôt rapide et agile malgré le peu d'exercice physique de ces dernières années et malgré sa blessure à la jambe.

J'observais les alentours, je ne reconnaissais que peu de choses. Tous les souvenirs que j'avais étaient lointains et flous.

Je ne pris pas le temps de m'arrêter sur les tas de ferrailles qui ressemblaient vaguement à des carcasses de robots militaires.

Nous étions passés à côté de la porte, défoncée depuis longtemps. Et les souvenirs s'étaient remis à affluer dans ma tête, comme un cours d'eau endormie auquel on aurait détruit le barrage, qui retenait toute la puissance du ruisseau.

Par instinct, je portais ma main gantée à ma joue gauche. Je savais que la cicatrice demeurerait gravée sur mon visage jusqu'à ma mort.

Le ricochet du laser, ce jour-là, aurait pu me tuer.

Ma mère pressait le pas en boitillant plus vite, comme si elle ne voulait pas s'attarder davantage en ces lieux qui lui hurlaient des images de violence à la figure.

Nous étions hors de ce qui restait du Ministère, à présent. Tout était nouveau en étant familier.

L'exploration allait nous prendre longtemps. C'était encore plus immense que dans ma mémoire.

La ville me paraissait endormie, effrayante de vide et de silence.

Pas déserte, mais juste en sommeil. Comme si les infrastructures écroulées abritaient des êtres hostiles ou nuisibles, prêts à se réveiller au moindre faux pas de notre part. Cette sensation qu'on nous observait était dérangeante.

J'entendais ma respiration qui sifflait dans mon masque, augmentant le malaise qui me saisissait un peu plus à mesure qu'on s'enfonçait dans le centre-ville.

Un centre-ville qui me fit vite penser à une jungle épaisse et dangereuse où la moindre plante voudrait nous bouffer.

Plus on avançait, plus je comprenais la réaction de ma mère : cet environnement nous était complètement étranger.

Je constatais avec stupeur que les arbrisseaux que j'avais aperçu d'en haut n'avaient rien à voir avec de vrais arbres. Enfin avec les arbres d'avant.

Ils étaient tous différents : avec des branches tentaculaires qui partaient dans tout les sens, des racines qui sortaient du sol comme une invitation à se casser la gueule, des feuilles circulaires et plates ou bien des épines sur le tronc.

Ma mère, voyant que je m'étais arrêté, stoppa sa course laborieuse.

-"Tu feras de la botanique plus tard, Ethan." Se moqua-t-elle, les mains sur les hanches.

-"Pourquoi est-ce que tout est étrange ?" Lui demandai-je sans relever sa moquerie.

Elle soupira dans son masque.

-"Les radiations ont un effet parfois destructeur et parfois non. Parfois de nouvelles espèces renaissent des secteurs atomisés. Le réel en est modifié, les végétaux s'adaptent comme ils peuvent. Les espèces que nous avons connues jadis ont disparues, ou ont mutées pour survivre aux nouvelles conditions. Bien sûr, je suis moi-même étonnée d'un changement aussi rapide : en treize ans, tout a changé." M'expliqua-t-elle laconiquement.

J'essayais de m'imaginer les possibilités innombrables de mutations qui pourraient exister. Et ma pensée chemina vers une éventualité beaucoup plus terrifiante que de simples végétaux mutants.

-"Et les animaux ?" Lâchai-je avec nervosité.

-"Les animaux, comme les humains, n'ont certainement pas eu les mêmes réflexes d'adaptation que les végétaux. De plus, ils ont sûrement tous été exterminés pendant l'explosion." Répliqua-t-elle sur un ton ferme.

Ma mère avait été une scientifique réputée en évolution biologique avant que le monde ne soit atomisé, elle savait exactement de quoi elle parlait. Pourtant je voyais bien qu'elle forçait sur sa voix pour la rendre convaincante.

D'après ce qu'elle me disait il n'y avait aucune raison de s'inquiéter, mais je la revis prendre le Lanceur et le mettre dans le sac à dos.

Ce fut à ce moment-là que je sus qu'elle me mentait.

Elle n'aurait jamais emmené une arme si elle n'avait eu aucune raison de s'en servir.

Nous nous remîmes à courir en direction de notre ancienne villa. Ma pompe battait à un rythme régulier mais mon cerveau tournait à plein régime. Je me sentais toujours autant oppressé.

Le ciel gris semblait en mouvement. J'avais l'impression que tout mouvait autour de moi. Tout. Même derrière les fenêtres des immeubles qui nous emprisonnaient par leur hauteur.

J'avais maintenant cette impression horrible d'être observé de toutes parts.


Cœur de Métal.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant