Chapitre 3 : Abandon.

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C'était à notre tour. Sarah paraissait tendue, elle s'agrippait à mon bras comme à une bouée de sauvetage.

-"Vos papiers." M'ordonna froidement l'homme en uniforme.

Je les lui tendis, en essayant de conserver mon apparence calme et confiante. J'avais un mauvais pressentiment. Mon sang battait trop vite dans mes veines.

-"Passez au scanner. Nous devons nous assurer que vous n'apportez aucun objet électronique, ni aucune autre technologie de classe 3 ou plus, dans la Navette."

Je fermais les yeux. Je savais à présent pourquoi je redoutais tant ce contrôle avant l'embarquement. J'avais oublié un détail par rapport à la sécurité que le Grand Conseil avait réclamé.

Sarah me lança un regard qui me traversa de part en part. Le genre de regard dont je me souviendrais toute ma vie. Un mélange de reproches piquants, de haine immense et de chagrin indescriptible. Elle me lâcha et prit son fils dans ses bras.

Je passai le premier sur la petite plaque de verre numérique, conscient que j'avais commis une erreur monumentale. C'était vert, je pouvais circuler.

Ma femme et mon fils passèrent après moi et le portail vira au rouge et une alarme retentit dans la Grande Salle. Les militaires pointèrent immédiatement leur fusil d'assaut sur ma famille et sur moi-même.

L'officier s'approcha prudemment de nous, avec un antique taser à la main.

-"Avez-vous caché sur vous un quelconque objet électronique susceptible d'être de classe 3 ou plus ?" Demanda t-il à ma femme avec méfiance.

Je vis Sarah déposer Ethan par terre, le visage décomposé. Il ne semblait pas comprendre la situation.

-"Mon fils possède une pompe artificielle à la place du cœur, composée d'un alliage très solide de titane et de cuivre. Le mécanisme de classe 5 qui le maintient en vie est très complexe et ne peut être retiré sans le tuer. Des fils sont connectés à son cerveau et à ses poumons, affectant ses qualités physiques et intellectuelles et perfectionnant ses sens. Cette greffe révolutionnaire s'est déroulée le 25 mars 2100, soit deux jours après qu'il soit né. Son cœur était atrophié et ne battait pas assez vite, mon fils était faible et en danger de mort, mais les miracles de la médecine l'ont sauvé. La technologie l'a rendu fort, plus fort." Expliqua Sarah sans omettre le moindre détail.

L'officier et les militaires aux alentours écoutaient attentivement l'explication. Certains passagers nous observaient depuis la Navette.

-"Vous êtes en train de me dire que votre fils est un cyborg, madame Miller ?" Interrogea l'officier avec effarement.

Elle hocha la tête avec tristesse. Je ne savais pas quoi faire. Ni quoi dire. J'entendais les explosions dehors qui se rapprochaient. Je voulais partir au plus vite.

-"Ethan Miller n'est donc pas autorisé à monter à bord." Déclara l'officier d'une voix dure et autoritaire, qui ne laissait aucune négociation possible.

-"Vous n'avez pas le droit ! Nous avons réservé nos places ! Nous avons payé !" S'indigna Sarah en enveloppant son fils de ses bras. Ethan ne bougeait pas, ne réagissait pas vraiment à tout ça.

Je savais d'avance que c'était peine perdue que de vouloir changer ce qui avait été décidé d'avance.

Le Grand Conseil avait voté pour cette règle, il fallait obéir sans broncher pour avoir le droit d'être sauvés.

Ethan était un cyborg, après tout. Ethan s'en sortirait très bien avec les machines. Puisqu'il en était une. En partie seulement mais quand même.

Il en était presque une.

Et si le Conseil avait décidé qu'il était dangereux, c'est qu'il devait l'être. Et nous devions nous fier à son jugement. Pour sauver nos vies.

Mon raisonnement était dur, certes. Mais logique et rationnel. Il fallait faire preuve de sang-froid et de logique. C'était nécessaire à notre sauvetage.

Ethan me fixait, incrédule. Je détournais les yeux, troublé par son regard plein d'innocence.

-"Sarah... Ne rends pas les choses plus compliquées qu'elles ne le sont déjà, s'il te plaît." Dis-je froidement.

Elle me dévisagea, ne dissimulant pas son choc et sa colère. Ses mains tremblaient, ses lèvres tremblaient, ses bras tremblaient. Elle n'était plus que tremblements d'indignation et de révolte.

Elle ne faisait preuve d'aucune logique et d'aucun sang froid.

-"Ce...C'est notre enfant, Andrew..." Argumenta t'elle en se mettant à pleurer de haine. "Co...Comment peux-tu...l'abandonner ?"

-"Les enfants sont comme les machines, ils se remplacent." Répliquai-je avec raideur pour ne pas perdre la face devant les personnalités qui m'attendaient à bord avec impatience.

Nous devions nous en aller, sans Ethan. Et il fallait faire vite.

Je lui tendis généreusement la main pour qu'elle vienne avec moi.

Ses yeux étaient emplis d'une haine liquide et débordaient d'une rage amère.

Pour toute réponse, elle me gifla violemment.

Ce ne fut pas la douleur qui me brûla à vif mais l'insolence dont elle faisait preuve, après tant d'années où elle était restée dans l'ombre de ma prestance.

Elle me devait tout, et aujourd'hui, elle crachait sur la proposition que je lui avais faîte pour épargner au moins sa vie.

Tant pis pour elle.

Elle avait fait son choix : mourir avec son cyborg de fils.

Et j'avais fait le mien.

Abandonner mon ancienne vie pour une nouvelle. Certainement bien meilleure.




Cœur de Métal.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant