Chapitre 31 : Les Jardins.

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Tout doucement, le cerveau de l'androïde se débloqua. Les connexions nerveuses sortirent de leur paralysie protectrice, qui avait permis à Murphy de ne pas prendre en compte la question fatidique qu'Ethan lui avait posée. Murphy se remit donc à bouger, à reprendre conscience de son environnement, à se rendre compte qu'il était seul. Ethan n'était plus à ses côtés. Les yeux agrandis de terreur, le petit robot courut dans la rue en criant le nom de son compagnon de fortune. Il chercha dans les immeubles alentour, ne trouva rien, retourna à son point de départ, posa son regard sur toutes les fenêtres, tourna sur lui-même, désorienté, et s'agenouilla brutalement sur le sol poussiéreux, les mains sur les genoux. Qu'allait-il pouvoir faire sans Ethan?

-« C'est donc ça le sentiment d'être désemparé ? » Murmura-t-il pour lui-même.

Murphy resta prostré quelques minutes ainsi, baignant pleinement dans ce qui semblait être de la tristesse pour lui. Un sentiment qu'il avait déjà ressenti, lorsque la personne sur qu'il aurait dû veiller, il y a treize ans, avait disparu. Il sentit qu'il avait encore failli à son rôle de Gardien. Ethan n'était plus en sécurité. Puis, automatiquement, il chassa ce sentiment paralysant de son esprit et se leva. Il se mit à chercher des signes de lutte sur la poussière du sol. Ethan semblait s'être débattu, d'autres traces s'entrecroisaient les unes sur les autres. A vue d'œil, la scène paraissait très floue. Murphy se gratta la tête, comme Ethan le faisait si souvent lorsqu'il réfléchissait.

-« Calcul des probabilités. Chemin potentiel. » Déclara l'androïde d'une voix mécanique.

Ces mots prononcés, une petite lumière verte s'échappa des yeux du robot et fit apparaître un chemin brillant à travers les cendres ternes. Murphy se força à sourire de satisfaction, puis il suivit la piste qui le conduirait jusqu'à son ami. Il traversa le centre New-yorkais pour arriver jusqu'aux grands jardins botaniques.

Les jardins botaniques de New York étaient en bien meilleur état que les bâtiments en béton. La Nature avait, en effet, largement repris le dessus sur les créations humaines. La jungle que découvrit Murphy était impressionnante. La végétation avait muté pour s'adapter aux radiations auxquelles elle était exposée. Les arbres les plus vieux semblaient être plus morts que vivants avec leur écorce grisâtre, leurs branches pendantes, leurs feuilles survivantes. C'était les ruines de la forêt d'antan. Les jardins avaient pris une tournure bien différente, en treize années d'exposition radioactive. D'énormes champignons parasites jaunes et gluants avaient élu domicile sur les carcasses des arbres gris. De nouveaux arbustes, ressemblant à de grandes tiges avec des épines ou des écailles végétales, se dressaient droits, recherchant les rares rayons de soleil. D'étranges fleurs violettes fleurissaient avec une odeur de putréfaction assez forte. Le gazon avait étouffé sous l'épaisse cendre toxique. Seules quelques maigres touffes d'herbes, presque noires, survivaient difficilement par endroits. Les jardins botaniques apparaissaient comme une planète extra-terrestre monstrueuse qui avait mangé tout ce qui existait déjà.

Murphy tenta tant bien que mal de faire remonter ses souvenirs d'avant-guerre mais sa mémoire avait fait un blocage. Il lui semblait avoir été venu ici très souvent, avant que tout ne devienne inconnu. Le robot avait déjà vu ces végétaux quelque part. Mais où ? Et pourquoi ?

L'androïde poussa doucement le grand portail en fer forgé qui était sur le point de se désagréger au moindre coup de vent. Ça n'empêcha pas qu'un grincement désagréable déchira l'air, anéantissant le principe de discrétion qui aurait pu être fortement utile pour Murphy. Une nuée d'ailes sombres s'éleva dans le ciel quelques temps après l'entrée bruyante du robot. Qu'était-ce? Des oiseaux ? Des chauves-souris ? Quelques instants plus tard, ce fut comme si les jardins se réveillaient d'un long sommeil silencieux. Ils reprenaient vie. Murphy calculait les chances qu'il avait de rencontrer un animal plus gros qu'un corbeau. Les chances étaient presque nulles. La mutation était délicate et entraînait de nombreux risques mortels pour les espèces qui se trouvaient confrontées aux radiations. Seuls les organismes les petits survivaient, parce-que les plus grands n'étaient pas forcément les plus forts, et encore moins les plus résistants. Un flot d'images évanescentes surgit dans la tête de Murphy. Ce dernier se souvenait qu'avant la Guerre des Machines il avait aidé les hommes en blanc à expérimenter le nucléaire sur le vivant. Dans quel but exactement ? Il ne s'en rappelait pas. Mais certains petits oiseaux, des petits rongeurs comme les rats et les souris, des insectes, des poissons, des crustacés, des batraciens et de minuscules reptiles avaient survécu aux expérimentations les plus cruelles. Bien entendu, ce fut la végétation qui avait le mieux supporté les violentes agressions nucléaires. Murphy se rappelait de tout ce qu'était devenu cette faune et cette flore après leurs transformations. Il repensa aux Kriss qu'Ethan et lui avaient dû affronter auparavant. Son programme pensa « inquiétude », et Murphy fut très angoissé par ses souvenirs qui fourmillaient dans son esprit.

-« C'est donc ça le sentiment de la peur ? » Murmura le petit robot pour lui-même.

Était-ce des animaux qui avaient enlevé Ethan ?

Évitant les branches basses, tendues comme des mains crochues, l'androïde suivit la piste lumineuse qui circulait entre les fleurs puantes et les plantes carnivores qui digéraient de petits animaux difformes. En tant qu'être non organique, Murphy ne risquait pas de se faire dévorer. Pourtant, prudence est mère de sûreté. Le petit robot ne prit pas le risque de s'approcher de trop près des plantes à lianes qui semblaient attraper les gros insectes ailés, ni des feuilles gigantesques qui s'ouvraient et se fermaient et qui semblaient posséder une bouche pleine de petits crochets effrayants. La végétation manquait clairement de chlorophylle étant donné que les nuages de poussières dissimulaient le soleil. Leur couleur virait à un jaune sombre peu appétissant. La faune, elle, était discrète et restait dans l'ombre des vieux arbres morts. Murphy les entendait couiner par moments, ils étaient là, ils l'observaient passer devant eux, les frôler parfois. Le robot ne distinguait que des ombres fuyantes qui s'évanouissaient dans d'immenses fougères dorées. Par endroits, le sol gris était marqué de traces de lutte qui prouvaient bien qu'Ethan était encore en vie à ce moment-là. Quelle sorte d'animal laissait sa proie aussi longtemps en vie avant d'en faire son repas ?

Craignant le pire pour son ami, Murphy pénétra plus profondément encore dans les jardins qui résonnaient d'une rumeur hostile et mystérieuse.

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⏰ Dernière mise à jour : Feb 08, 2017 ⏰

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