Chapitre 23 : La Clinique Blanche.

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La violente lumière du jour vint transpercer sans pitié la cendre des nuages, en me sortant violemment de mon sommeil de plomb. Je fus totalement déboussolé sur l'instant, ne sachant même plus pourquoi ni comment j'avais dormi à même le sol, au milieu des ruines d'un immeuble encore debout. Puis tout me revint en mémoire. Soudainement. Semblable à une gifle humiliante. Humiliante, oui, c'était le mot.

J'étais un enfant de synthèse. Le sujet numéro 32. Ce nombre m'avait tenu réveillé une bonne partie de ma trop courte nuit, comme une lumière qu'on vous braque dans les yeux. Éblouissante vérité. Dans le sens péjoratif du terme.

Le numéro 32. Où étaient donc les trente deux autres expériences ? Avaient-elles survécues à l'explosion, comme moi ? Étais-je le seul dont le cœur de métal battait encore ? Ou y avait-il encore un peu d'espoir dans ce monde si détérioré ?

Ma pompe se mit à tambouriner d'espérance sous mes côtes endolories. Au travers des carreaux sales, les cieux me parurent moins gris que la veille. J'avais l'impression d'entrapercevoir le soleil sous les épais amas radioactifs de poussières noires. Étrangement, je ne me sentais plus si seul au monde, à présent.

Je retirai la saleté de mes vêtements qui avaient noircis. J'avais toujours l'odeur toxique du laboratoire Miller. Cette odeur qui paraissait s'être incrustée en moi. J'avais toujours les papiers confidentiels dans mon sac-à-dos. Ils partageaient le peu d'espace avec la bouteille de vodka survivante. Je ne savais même pas pour quelles raisons je gardais tout ce bric-à-brac inutile et encombrant. Certainement parce-que ces objets représentaient tout ce qui était mauvais dans ma vie. C'était stupide d'accorder autant d'importance à des objets, je le savais.

L'air vint à me manquer. L'endroit me parut vite trop étroit, comme si les murs gris se rapprochaient pour venir m'écraser. En réalité, je savais que c'était la vérité qui voulait à tout prix me réduire en miettes. Oppressé et pris d'une panique soudaine, je sortis en trombe de l'appartement qui semblait se resserrer progressivement sur moi.

Il faisait frais, et cette fraîcheur apaisa quelque peu mon mal-être. Je me mis en tête de trouver la Clinique Blanche. Cette fameuse clinique où les fœtus de synthèse devaient avoir été testés et créés. C'était l'endroit où tout avait commencé pour moi, le lieu où j'étais réellement né. Je devais retourner à la genèse de mon existence. Trouver d'autres réponses à d'autres questions. Et chercher des survivants, ou devrais-je dire d'autres expériences.

Par où commencer ? Où pouvait-elle se trouver, cette clinique ? Je ne connaissais pas la ville. Tout me paraissait si grand. Si vaste. Si inconnu. Et puis un peu triste aussi. Je pris une profonde inspiration et je me mis à courir jusqu'au centre-ville. Mes muscles bataillaient à se mettre en marche. Je n'aurais pas dû dormir par terre.

Je sentais la petite étoile en argent de ma mère rebondir sur mon torse quand je courais. C'était comme si elle courait encore à mes côtés. Comme si elle venait avec moi pour déterrer la vérité oppressante. Comme si elle était toujours en vie. Elle me manquait impitoyablement.

Le centre-ville m'apparut d'une tristesse infinie. J'aperçus le laboratoire du coin de l'œil. Je m'en détournai. Il y avait un plan de la ville sous une vitre encore en assez bon état. Je m'y penchai dessus avec attention, cherchant la Clinique d'une main tremblante. Il était indiqué qu'elle se situait tout au nord de la ville, en périphérie. Je mémorisai donc le trajet qui s'imposait à moi.

Je repris la route, animé par une frénésie incompréhensible et irrépressible. Le paysage défilait si vite que les couleurs se mélangeaient en une palette magnifique, composée essentiellement de nuances de cendres grises. Ma respiration était régulière, mes foulées aussi, seul mon cœur de métal paraissait vouloir briser mes côtes et sortir hors de ma cage thoracique. J'aurais préféré qu'il ne soit jamais là, ce foutu morceau de titane qui palpitait pour me maintenir en vie.

Au bout d'un long moment de course, je vis le bâtiment que je cherchais : une grande bâtisse qui avait dû être entièrement blanche à une époque, mais qui avait dû subir l'usure grise du temps et de l'apocalypse destructrice. C'était ce qui restait de la Clinique Blanche.

Cet endroit sentait le danger. Un danger étranger, inconnu. J'avais de nouveau cette appréhension incompréhensible d'être observé de tous côtés. Je sortis mon Lanceur avec précaution, et sans faire le moindre bruit, j'entrai dans cette clinique qui recelait sans doute les derniers morceaux du puzzle.

Cœur de Métal.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant