Chapitre 26 : Lorsque l'Homme joue à Dieu.

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Murphy paraissait épuisé. Et triste. Ses yeux verts étaient vides. L'androïde ne bougeait plus. J'attendis quelques secondes avant de paniquer franchement. La pompe dans ma poitrine s'affola.

-"Murphy ?" Murmurai-je.

Sans attendre une réponse de sa part, je me précipitai vers le robot. Sans trop savoir pourquoi, les souvenirs de Murphy m'avaient profondément touché.

Malgré mon insistance, Murphy repoussa mes tentatives pour l'aider à se relever. Il avait l'air très faible. Comme si l'hologramme avait vidé ses batteries en quasi-totalité.

-"Ce n'est rien, Ethan. Ne vous en faites pas pour moi." Déclara Murphy d'une voix neutre. "Je ne suis qu'une machine, après tout."

Je ne décelai aucune ironie, ni aucune méchanceté, dans ses dernières paroles. Juste une immense tristesse. Et peut-être quelque chose ressemblant à de l'amertume. Un sentiment très humain à vrai dire. Je me rendis compte d'une chose ou deux à ce moment-là. J'éprouvais indéniablement une sincère compassion pour Murphy. L'androïde avait des souvenirs. Il semblait ressentir des émotions liées à la tristesse de ses réminiscences, ainsi que des souffrances physiques dues au puissant hologramme. Murphy était donc incontestablement un être doté d'une sensibilité certaine. Je constatai de nombreuses similitudes entre lui et moi.

-"Tu es bien plus qu'une simple machine, Murphy." Concluais-je avec dans ma voix un peu d'émerveillement.

Murphy leva des yeux stupéfaits vers moi. Une lueur d'espoir s'alluma au creux de ses iris d'émeraude.

-"Vous avez enfin compris ? Demanda l'androïde, la voix tremblante.

- Quoi donc ? Répliquai-je, intrigué.

- Ce ne sont pas seulement des robots qui ont mené la Révolution, il y a treize années de cela." Répondit-il, sérieux et grave.

Un silence pesant nous tomba dessus. J'avalai ma salive avec difficultés. Murphy se releva prudemment. Ses jambes d'acier tremblaient un peu. Ses mains aussi. Sa poitrine métallique se souleva au rythme de sa respiration saccadée. Je devinai de puissants poumons en titane sous l'armure de son thorax. Des poumons améliorés. Comme les miens. Il brisa le silence en se raclant bruyamment la gorge.

-"Les Hommes n'ont pas seulement construit. Ils ont joué à Dieu. Ils se sont pris pour des petits génies. Ils ont créé. Nous sommes vos créatures. Avec des organes partiellement métalliques qui fonctionnent comme s'ils avaient été faits de chair et de sang. Les Hommes ont réussi à recréer la vie. La vie mécanique. La vie chimique. La vie artificielle. Mais la vie quand même." Expliqua Murphy d'une seule traite.

Ma pompe manqua un battement lorsqu'il eut fini de parler. Ce qu'il disait était indubitablement la vérité. Par conséquent, les trente deux sujets et moi-même étions l'étape supérieure dans la création de la vie artificielle. Cependant il était clair que cette vie recréée de toutes pièces avait échappé aux scientifiques les plus géniaux. Les dégâts avaient été incommensurables. Murphy m'observait longuement, conscient que tout cela bouleversait tous mes repères sur le monde.

-"Ils... nous ont abandonné. Ils nous ont abandonné. Ils ont dû se tromper quelque part dans le processus, murmurai-je.

- C'est beaucoup plus compliqué que cela, en réalité." Lâcha Murphy avec une lenteur calculée.

Je fis comme si je ne l'avais pas entendu. Tout me paraissait beaucoup trop incompréhensible et mon incapacité à résoudre cette énigme me frustrait entièrement. Je voulais des réponses à mes questions. Mais où diable allais-je les trouver dans ce monde dévasté et inhabité ? Qui dans ce désert de désolation cendreuse me procurerait la solution au problème ?

-"Sortons de cet endroit de malheur." Ordonnai-je à Murphy avec fermeté.

Murphy nous suivit, moi et ma frustration ardente, jusqu'à la porte de la Clinique. Je n'accordai pas le moindre regard aux fœtus artificiels qui flottaient sinistrement dans leur liquide amniotique. Lorsque la porte fut devant nous, Murphy posa sa main sur mon épaule. Je m'immobilisai, presque paralysé par ce contact froid.

-"Je ne suis jamais retourné dehors depuis ma désactivation..." Déclara mélancoliquement Murphy en renforçant sa poigne.

Je ressentis un pincement douloureux dans ma poitrine. J'avais eu un sentiment étrange, moi aussi, lorsque j'avais vu la lumière du soleil pour la première fois en treize ans. Je savais ce que devait ressentir mon compagnon de métal. Il ne savait pas encore à quel visage la Terre avait. Il ne savait pas encore à quel point elle avait été défigurée, notre pauvre planète. Murphy posa alors son autre main sur la poignée. Ses doigts caressèrent quelques secondes l'acier oxydé. Le temps se suspendit. L'air se chargea d'appréhension.

L'androïde ouvrit et s'avança doucement dans la lumière du jour en déclin. A cet instant précis, Murphy n'avait rien à voir avec une simple machine.

Il était un être vivant et pensant avec un cœur de métal.

Semblable à moi.

Cœur de Métal.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant