Chapitre 14 : Faire du passé une arme.

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Que fallait-il faire ? Attendre que les monstres se dispersent d'eux-mêmes, lassés d'attendre que leurs repas sortent de leurs tanières ? Ou leur faire face et essayer de les éliminer ?

Je doutais que notre patience allait tenir aussi longtemps que la leur.

Et je doutais d'avoir la moindre chance face à ces créatures, qui semblaient être taillées pour le combat. Et pour ne rien arranger, j'étais sans arme : ma mère avait le Lanceur avec elle, de l'autre côté de la rue.

Je ne savais pas quoi faire, je ne savais pas quelle décision prendre. Mon rythme cardiaque s'accélérait et ma pompe s'emballait.

Mes yeux se posèrent par hasard sur une vieille tablette tactile qui dépassait d'une caisse de rangement entrouverte. Les mains tremblantes, je m'en saisis et je l'allumai. Elle se mit en route tant bien que mal, la batterie avait tenu treize ans par miracle.

Des photos apparurent sur l'écran, je les fis défiler. Les yeux me piquèrent et je ressentis quelque chose qui semblait être de l'amertume.

Une photographie m'interpella plus que les autres. Elle avait dû être prise lors d'une soirée mondaine, ou d'un gala. Peut-être lors d'une grande exposition de sciences ou de robotique.

Sur celle-ci, la superbe famille Miller était au grand complet : je devais avoir deux ans, peut-être un peu moins, je n'étais qu'un bébé. Mon oncle Charly, immense et brun, me portait sur ses fortes épaules. Mes parents étaient enlacés amoureusement, bras dessus, bras dessous. Ma mère était resplendissante avec sa robe coûteuse de soie noire et ses multiples bijoux en or et en pierreries.

Les traits de mon père, qui s'étaient peu à peu estompés avec le temps et avec ma volonté d'oublier, venaient de me revenir parfaitement en mémoire à la vision de cette photo.

Il avait l'air d'avoir toujours été élégant, avec cette prestance unique et cette fierté sans borne de ceux qui ont réussi leur vie par eux-mêmes. Là, dans cette pose arrogante, dans son beau costume bleu nuit, avec sa montre en argent et ses chaussures de cuir sombre, il me faisait l'effet d'un magnifique mégalomane imbu de sa personne. Affichant sans gène cette assurance grandiose, telle un défi pour tout ceux qui osaient poser les yeux sur lui.

Et le pire dans ce portrait que j'exécrais de tout mon être, c'est que je lui ressemblais monstrueusement. Heureusement seulement physiquement. Du moins l'espérai-je.

Une phrase qu'il m'avait dite avant qu'il ne nous abandonne me revint en tête. Sa voix grave, chaude et rassurante retentit horriblement dans le creux qu'il avait laissé en moi depuis son départ.

"Rappelles-toi de toujours raisonner logiquement. Ne te laisse jamais gagner par tes émotions. Le secret de la survie et de la réussite c'est la logique et le sang-froid. Ne l'oublie jamais."

C'est comme cela qu'il avait toujours fonctionné : avec une logique dure, froide et implacable. Prêt à tout pour survivre. Jusqu'à nous abandonner.

Incontestablement efficace, malgré toute l'immoralité qui en découlait.

Une idée germa dans ma tête, j'allais devoir me servir des épines de la rose qui y poussait.

Je me relevais, revigoré et déterminé.

J'avais un plan. Je devais être logique et garder mon sang froid, comme me l'avait dit mon père autrefois.

Je devais faire la même chose que lui. Mettre le feu aux souvenirs pour survivre.

Littéralement.



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