Chapitre 18 : Seul au monde.

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J'eus l'impression que la Terre cessait sa rotation, que le temps se figeait, que ma pompe ne battait plus sous mes côtes. Je n'étais plus que tremblements et spasmes incontrôlables. Mes yeux crachaient leur chagrin salé et mon estomac se contractait affreusement, comme si des mains invisibles nouaient mes entrailles.

Je ne pouvais détacher mes yeux de la silhouette sombre de ma mère qui ne respirait plus.

Elle était... morte. Était-ce possible ?

Un sanglot violent écrasait ma gorge avec cruauté.

-"Maman... ? Réveilles-toi, par pitié. Réveilles-toi." Murmurai-je d'une petite voix. Le silence me répondit de sa voix inaudible mais monstrueuse.

J'attendis pendant ce qui me sembla être des siècles, mais seul le néant habitait le vieil immeuble irradié.

-"Je ne peux pas te laisser ici, maman." soufflai-je, les yeux embués de larmes amères.

Précautionneusement, je la pris dans mes bras. Elle ne pesait pas lourd, ma pauvre mère. La vie l'avait allégée de son poids si pesant. Je me mis à pleurer misérablement, sans pouvoir rien contrôler. Ma tristesse éclata sans retenue, comme les gros orages qui me faisaient si peur quand j'étais gosse.

Quand je fus sorti, je vis que la villa n'était déjà plus que cendres et braises. Combien de temps me séparait du moment où j'avais foutu le feu aux souvenirs et aux monstres ? J'étais resté auprès de ma mère une éternité avant de réaliser que tout était fini, terminé, daté.

Je constatai entre deux sanglots que le soir annonçait son arrivée en colorant le ciel sombrement.

Je me rendis compte qu'une journée s'était écoulée depuis que ma mère avait pris la décision de sortir du bunker. Décision qu'elle avait prise à cause de moi. La culpabilité ne manquerait pas de me ronger l'âme, comme le ferait une horde de termites sur du bois pourri.

Je déposai son corps sans vie au milieu des restes en cendres de la demeure Miller. Son visage sans masque et son cœur faisaient face au ciel, qui arborait des teintes enflammées. Elle aurait adoré contempler ce spectacle. Elle a toujours été nostalgique des couchers de soleil quand nous étions enfermés sous terre. Maintenant elle n'aura plus jamais l'espoir d'en voir encore.

Puisque nos espoirs s'envolent quand la vie nous quitte.

Le bip régulier du détecteur devenait agaçant. Je retirai mon masque et ma combinaison, désormais inutiles. Peut-être allais-je bientôt être tué par les radiations ? Mais j'en doutais. Cela ferait longtemps que j'aurais dû succomber dans l'état où était ma combinaison. De plus, l'air était respirable.

Je m'étais calmé, mais mes mains demeuraient encore un peu mal assurées. Cela faisait des heures que je pleurais, j'espérais qu'il n'y avait plus d'eau dans mon corps à présent. Je n'en pouvais plus de toutes ces larmes qui me collaient les joues et les paupières de leur sel corrosif.

Doucement, je retirai la lourde étoile en argent qui reposait sur sa poitrine au bout d'une petite chaîne fragile. Je le mis à mon cou avec gravité. C'était un souvenir que je voulais garder avec moi pour le restant de mes jours.

Je me penchai et déposai un léger baiser sur le front de celle qui s'était sacrifiée pour moi. Comme elle l'avait fait toute sa vie. Ma mère qui, même avec son morceau de porte blindé incrusté dans la cuisse, avait donné tout ce qu'elle avait pour sauver son fils cyborg. Même sa vie.

Je crus exploser à nouveau en larmes quand je repensai aux dures paroles que je lui avais dites.

"J'ai vécu pendant treize ans dans un trou avec une mère qui avait peur du monde qu'elle avait détruit."

Même animé par la colère, je savais que j'avais dit le fond de ma pensée. Ma mère avait contribué à la destruction de l'humanité et elle s'était ensuite cachée dans la honte, en tentant l'impossible : l'oubli.

Malgré tout, j'aimais ma mère d'un amour indestructible. Elle, elle avait eu le courage de ne pas m'abandonner.

Je l'aimais. Et je l'aimerais toujours.

Je me mis à creuser dans les cendres, puis je la recouvris entièrement et soigneusement. Assez profondément pour qu'aucune créature ne vienne anéantir la sépulture.

Quand ce fut fait, une sensation inconnue parcouru les moindres parcelles de ma peau et les moindres recoins de mon être.

La sensation d'être seul au monde m'envahit entièrement.

Cœur de Métal.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant