Chapitre 21 : La Vérité.

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Le bureau, comme le reste du laboratoire ressemblait à un champ de bataille : des feuilles d'aspect officiel avaient jauni et recouvraient la table en verre dans sa totalité, les murs étaient fissurés, la fenêtre brisée, la chaise abîmée. Tout avait été détruit de l'intérieur comme par un ouragan furieux.

Je lus un nom gravé sur le verre de la table : Andrew Miller, directeur et bienfaiteur du Laboratoire Miller et de la Clinique Blanche. Mon père.

Je m'approchai lentement, les mains tremblantes de colère. Je posai mes yeux sur les papiers officiels un peu partout. Tous traitaient de recherches génétiques et robotiques. Certains schémas représentaient des machines intelligentes, capables de suivre un raisonnement semblable à celui d'un humain. Il était question d'implantations d'organes ou de membres artificiels sur des animaux, et sur des êtres humains. Il y avait aussi des explications sur des manipulations génétiques importantes et irréversibles pour soigner diverses maladies considérées comme incurables, notamment les cancers. Je savais que mes parents et mon oncle avaient travaillés ensemble sur ces projets de grande envergure, et avaient même réussi à en faire aboutir certains avec grand succès. Le progrès avait permis de grandes avancées dans le domaine médical. Les prothèses avaient permis à des gens handicapés de remarcher, et les manipulations de gènes avaient soigné des problèmes héréditaires graves, prévenant les malformations des fœtus. Je ne pouvais pas nier que ma famille avait fait progresser magnifiquement bien la société. Avant la Révolution des Machines, ils étaient certainement élevés au statut de héros par tout le monde.

Je me mis à fouiller dans les tiroirs. Quelques-uns, pour une raison inconnue, étaient vraisemblablement verrouillés. Frustré, j'y tirais dessus rageusement, mais vainement.

Complètement hors de moi, je sortis du bureau en me dirigeant vers le cadavre du scientifique suicidé. Je lui fis les poches en surmontant le sentiment de sacrilège qui m'envahissait. Je constatai alors qu'une de ses mains ensanglantées était fermement refermée sur quelque chose. Sur ce qui semblait être une petite clef en fer. Ses doigts secs et rigides ne voulaient pas lâcher le précieux objet. Je me résignai à devoir les lui arracher un par un. Surmontant mon dégoût, c'est ce que je fis. Les os craquaient sinistrement. J'avais l'impression de commettre un crime impie.

Dans une ultime fracture d'os, la clef fut à moi. Je me penchai pour vomir, conscient que ce que j'avais fait était répugnant et irrespectueux.

Sans regarder le corps momifié de l'homme, je me levai et retournai au bureau, près des tiroirs. La clef correspondait aux serrures verrouillées. J'ouvris tout, puis, avec un grand geste de la main, balayai la table en verre de tous les papiers et de toute la poussière qui pesaient dessus. Je m'emparai des dossiers confidentiels des tiroirs que j'avais ouverts et les posai sur la table de mon père.

Les premières lignes ne me choquèrent pas plus que ça, il s'agissait d'une création artificielle de fœtus pour les personnes stériles. Mais plus je lisais, plus les informations s'enchaînaient, plus les morceaux s'imbriquaient dans mon esprit. Un peu comme un puzzle géant auquel je retrouvais des pièces manquantes, plusieurs années plus tard.

L'embryon en question fut créé à partir de morceaux de tissus de synthèse, de cellules fabriquées en laboratoire et de greffes d'organes. Mes mains tremblaient horriblement.

Je lus à haute voix ce qui ressemblait à un cauchemar sur du papier :

"Projet surhomme numéro 32 :

Le sujet amélioré voit le jour le 23 mars 2100, atrophié et faible.

Le 25 mars 2100, nous avons dû implanter :

- Une pompe, à la place du cœur, en titane et en cuivre de haute technologie, capable de rendre le sujet plus endurant que la plupart des êtres lambda.

- Une paroi pour ses poumons fragilisés qui permettra au sujet de retenir sa respiration plus longtemps ou de ne pas mourir suite à l'inhalation de substances mortelles.

- Des câbles en titane reliant certains nerfs et neurones pour améliorer ses capacités mémorielles, sensorielles et cognitives.

- Des greffes de peau dotant le sujet de capacités de cicatrisation et de régénération plus importantes et plus rapides que la normale.

Ce projet doit rester secret et sur papier uniquement. Le sujet résidera chez monsieur le directeur pour un suivi complet et précis.

La stérilité de madame Miller devra être cachée de l'administration du pays, le sujet devra porter le nom de Miller et la vérité sur sa naissance ne devra jamais lui être révéler.

Expérience numéro 32 menée avec succès, malgré les difficultés de départ."

Ma main se crispa sur le compte-rendu abominable qui contenait la vérité sur mon identité falsifiée. Ce fut rude à encaisser. Je n'étais rien de plus que le sujet d'une expérience révolutionnaire. Je n'avais pas d'identité propre. J'étais un enfant créé dans une éprouvette.

"Les enfants sont comme les machines, ils se remplacent."  avait dit mon père à ma mère avant de nous laisser. Une lame transperça ma poitrine de part en part et mes certitudes s'écroulèrent comme un château de cartes. Je comprenais à présent ce qu'il avait voulu dire. Et c'était monstrueux.


Note de l'auteure : Si vous avez des questions à propos de ce revirement de situation, n'hésitez-pas ! Vos avis sont précieux. ♥

Cœur de Métal.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant