Chapitre 12

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Mardi 16 avril, 1943
Marie



Je regardais avec horreur la feuille de papier si précieuse à mes yeux tomber par terre devant Vincent. Mon cœur rata un battement et je retins mon souffle, mes yeux s'écarquillant d'horreur, alors que je réalisais dans quel pétrin je venais de me mettre.

Vincent ne semblait pas encore l'avoir remarqué, mais, si je la ramassais, il tenterait de savoir ce que c'était, son attention serait portée vers mon geste. Mon cœur battait la chamade tandis que je tentais déjà de trouver une excuse à la présence du dessin dans mon manteau après ma promenade du jour. Je ne pouvais absolument pas parler de Thomas, c'était tout simplement inconcevable, je devais donc trouver quelque chose de plausible et réaliste, sinon il suspecterait un mensonge.

Retenant ma respiration et n'osant parler de peur de lui faire pencher la tête et qu'il découvre le dessin, je me retournais lentement face à lui, adressant un sourire le plus sincère possible, me forçant à le saluer puisque mon plan initial était de partir sans plus de paroles.

-À plus tard Vincent, le saluai-je avec un peu plus d'empressement que j'aurais souhaité.

Il fronça les sourcils, puis adopta un air moqueur.

-Mademoiselle Marie est fâchée parce qu'elle a perdu la course ?

-Je n'ai pas perdue la course, grognai-je devant son air satisfait, tâchant d'avoir l'air détendue et le plus naturelle possible afin d'écarter les soupçons.

Vincent haussa un sourcil, visiblement prêt à me chatouiller de nouveau pour me faire dire le contraire une nouvelle fois. Immédiatement, je pensais à la feuille de papier au sol qu'il risquait d'écraser s'il faisait un pas de plus vers moi.

-Ne bouge plus ! m'écriai-je sans réfléchir davantage, me trouvant un peu ridicule d'autant accorder d'importance à ce dessin.

Vincent dévisagea tandis que je plaçais ma main sur ma bouche, un peu perturbée par ma propre réaction définitivement trop excessive pour le peu de mouvement qu'il avait fait. Il n'avait pas bougé d'un poil et je m'étais mise à hurler, le surprenant. Je tentais d'avoir l'air normale, alors que Vincent pencha la tête sur le côté, me regardant bizarrement.

-Est-ce que ça va ?

-Oui, oui, répondis-je un peu trop rapidement. Il n'y a aucun problème.

Vincent n'avait pas l'air convaincu, continuant de me fixer avec curiosité et plissant même les yeux, signe qu'il cherchait à lire en moi. Je le savais parce qu'il faisait toujours ça lorsqu'il essayait de soutirer des informations ou de voir si j'étais en train de lui mentir.

-Désolée, grimaçai-je en tordant mes mains ensemble.

-Tu es bizarre.

-Je ne voulais pas que tu me chatouille à nouveau, c'est tout.

-D'accord, je ne recommencerais plus, il fallait seulement demander, déclara-t-il comme si c'était une évidence.

Je levais les yeux au ciel.

-C'est ce que j'ai fait, m'offusquai-je, me demandant ce qui n'était pas clair dans mon éclat de tout à l'heure.

-Tu me pardonne ? s'exclama-t-il en faisant un sourire exagéré de gamin.

Visiblement, pour le moment, il n'y voyait que du feu.

-Bien sûr que je te pardonne, lançai-je en le frappant gentiment à l'épaule. Maintenant, va-t'en et arrête de venir m'énerver.

Au moment où ces paroles franchissaient ma bouche, le regard de Vincent descendit vers le sol, son attention portée par le blanc de la feuille sur le plancher de bois franc. Je retint mon souffle et fermais les yeux le temps d'une seconde, ouvrant la bouche pour dire quelque chose avant qu'il ne se penche, mais pinçais mes lèvres entre elles lorsqu'il posa ses doigts sur le papier. Il se releva tout doucement, retournant la feuille pour la placer sous ses yeux qui s'ouvrirent grand quand ils y découvrirent les traits fait au crayon de plomb.

Vincent contemplait l'œuvre de Thomas, cette œuvre que je n'aurais jamais pensé partager avec quelqu'un. Voilà qu'en plus d'être révélée au grand jour, c'était entre les mains de mon meilleur ami et pire ennemi à la fois qu'il se retrouvait. C'était mon secret, c'était le dessin que Thomas avait fait, la feuille qu'il avait touchée et maintenant, Vincent en profitait aussi, à ma plus grande déception.

Il n'en était pas conscience, mais il tenait un dessin fait par un juif et je me mis à imaginer sa réaction s'il savait, déglutissant difficilement en attendant le verdict de Vincent et scrutant son visage, me demandant si je faisais bien de garder le silence. Il ne disait rien, lui non plus, et paraissait hypnotiser par l'image, rendant ces instants encore plus longs.

-Qui a fait ça ?

Son ton était neutre, ce que je détestais, ne me permettant pas de savoir ce qu'il pensait.

-Il y avait un artiste de rue, près d-du magasin de chaussures, et il m'a proposé de me faire en portrait, bégayai-je tout de même fière de mon mensonge.

Je retenais mon souffle, attendant la réaction et la réplique de Vincent, me demandant s'il goberait cette histoire, ce qu'il en penserait. Et s'il ne me croyait pas ? S'il se rendais compte de quelque chose ? La nervosité me gagnait de plus en plus et des sueurs froides me coulaient presque dans le dos et, tremblante, j'essayais de paraître neutre en sachant que Vincent me connaissait assez bien pour voir mon malaise et découvrir que je ne lui disait pas tout.

-C'est magnifique, déclara-t-il soudainement.

Je relevais la tête, tout d'abord surprise, puis soulagée de cette première réaction de sa part. Vincent regardait toujours le dessin, mais cette fois, le sourire aux lèvres, visiblement encore bien impressionné par le talent visible sur le papier. Soulagée, je soupirais doucement, desserrant les poings et relâchant mes épaules qui s'étaient raidis sous la tension.

-Comment peut-on dessiner aussi bien ? s'exclama-t-il en admiration.

-Je me suis demandé la même chose, dis-je en pensant à Thomas.

-Non, mais vraiment, on dirait que c'est toi !

-Mais c'est moi, idiot, répliquai-je en levant les yeux au ciel, même si j'avais compris où il voulait en venir avec ce qu'il venait de dire.

Il ne broncha pas à ma remarque, continuant sa contemplation avant que je lui prenne le dessin des mains brusquement.

-Si tu en veux un, tu peux toujours y aller. Avec un peu de chance l'artiste est encore là.

-Oh, bonne idée, répondit-il tout excité. Est-ce que tu viens avec moi ?

-Non, désolée, j'ai des devoirs à faire, répliquai-je en commençant à monter les escaliers jusqu'à ma chambre. Bonne soirée Vincent.

-À plus tard, je viendrais te montrer mon dessin, cria-t-il du vestiaire.

Je souris à sa dernière phrase, sachant que, malheureusement pour lui, il ne reviendrait pas avec un dessin, et encore moins un comme celui-ci, aussi beau, aussi réaliste.

J'entendis la porte s'ouvrir, puis se refermer et c'est avec soulagement que j'entrais dans ma chambre et verrouillais la porte, m'appuyant contre celle-ci en soupirant. Je plaquais le dessin de Thomas contre moi en fermant les yeux de soulagement, puis me laissais glisser contre le bois de la porte, heureuse d'avoir gardé le secret.

La fille à l'écharpe rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant