Chapitre 16

1.3K 152 19
                                    

Samedi 27 avril, 1943
Thomas



Marie et moi, nous nous sommes rencontrés maintes fois durant le mois d'avril. Nos moments ensemble se résumaient à parler de tout et de rien, manger les collations qu'elle m'apportait, dessiner et lire le journal, ayant maintenant pris l'habitude de me l'acheter presque à tous les jours pour me garder au courant des derniers événements, surtout concernant la guerre.

Je m'accrochais à nos rencontres comme on s'accroche à la vie dans les camps de concentrations. Ma santé s'améliorait chaque jour grâce à la nourriture que Marie m'apportait et j'étais aussi beaucoup plus joyeux, mais je ne le laissais pas paraître quand venait le temps de retourner vers mon horrible chez-moi. De toute manière, il n'était pas difficile de perdre rapidement mon sourire quand je voyais nos affreux bungalows apparaitre au loin, quand j'apercevais les gardes, les tours de surveillance, quand j'entendais les enfants pleurer, les coups de fusil retentir, les gifles, les ordres et les crachats à notre égard.

Marie n'avait toujours pas trouvé le bon moment pour parler à ses parents de son mariage avec Vincent. La première journée qu'elle m'en a parlé, je ne savais pas exactement ce qui s'était passé et je ne la connaissais pas encore assez, ni Vincent, pour connaitre tout le contexte derrière cette histoire. J'avais ressenti beaucoup de tristesse pour elle, surtout en la voyant dans l'état dans lequel elle se trouvait, et beaucoup de colère contre Vincent.

J'avais encore toutes ces émotions et ces opinions, mais je tentais de voir l'ensemble, avec l'opinion de son père par-dessus le marché, et je pouvais bien croire que tout ceci était compliqué et déchirant pour Marie.

Pour moi, il était évident que j'aurais décidé de faire ce qu'il me plaisait et ce dont j'avais envie, mais je n'étais pas une femme et encore moins dans une famille comme celle de Marie. Je ne connaissais pas ce genre d'environnement et je ne pouvais m'imaginer être à la place d'une jeune femme comme elle ou comme n'importe qu'elle autre de son âge, sous l'autorité de son père et de son futur mari.

J'avais plusieurs fois tenté d'imaginer, mais ce que j'imaginais le mieux, c'était ce cher Vincent qui ne voulait certainement pas le bonheur de Marie. Après ce qu'elle m'avait raconté, je ne pouvais m'empêcher de me dire que moi, je ne traiterais jamais Marie de cette façon. J'avais tissé un lien avec la fille à l'écharpe rouge et je me sentais de plus en plus attaché à elle, me faisant réaliser à quel point je voulais son bien. Plus rien n'avait d'importance et je trouvais même un certain réconfort maintenant à savoir la femme que j'aimais loin de la réalité des camps, me permettant d'accepter que moi je puisse y être.

Cela devait sembler stupide, mais vraiment, depuis que je la connaissais mieux, j'avais ce sentiment rassurant de la savoir en sécurité où elle était. Est-ce que c'était cela l'amour ? Est-ce que c'était ce sentiment fort de pouvoir choisir la souffrance encore et encore à la place de l'autre ?

Quand j'étais enfant, mon meilleur ami m'avait expliqué en quoi ça consistait d'être amoureux. Nous étions dans la cour d'école, près des balançoires et nous avions une discussion animée à propos de l'amour qui, je dois l'avouer, n'avait bien évidement jamais réellement cognée à nos portes. 

Je pouvais encore entendre sa voix, la voix de mon meilleur ami qui m'expliquait toutes ces choses que je ne connaissais pas encore, préférant déjà, à cette époque, m'enfermer dans ma chambre à dessiner.



-Je suis sûr que tu n'as jamais été amoureux ! m'étais-je exclamé furieusement.

-Bien sûr que si ! Et je sais ce que l'on ressent quand on n'est amoureux.

-Ah oui ? J'aimerais bien savoir, j'avais répliqué en croisant les bras sur ma poitrine, prêt à entendre tout ce qu'il me révélerait sur ce sujet si abstrait pour moi.

La fille à l'écharpe rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant