7 : Personne n'a besoin de savoir.

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« Regarde-le... Il est tellement bizarre, celui-là ! » s'exclame-t-elle en me montrant du doigt, telle une bête de foire. Je baisse les yeux, bien trop touché par ces mots qui ne font que se répéter de jour en jour.

« Ce mec est pas normal de toute façon. T'as vu la tronche qu'il tire sans arrêt. Il est sûrement devenu fou là-bas. Si ça se trouve, il est comme eux maintenant... » ajoute-t-il avant de venir me frapper derrière la tête. Je sais qu'ils me prennent pour ce que je ne suis pas parce que je suis différent, parce qu'il connaisse mon passé et ce que j'ai vécu. Parce que mon manque d'intérêt, mon silence absolu fait de moi l'une des personnes les plus vulnérable ici. Et que les enfants à cet âge-là, ça ne demande qu'à démontrer sa force et son pouvoir en permanence. Moi, je suis leur jouet. « Ben alors ? Tu dis rien, enfoiré ? Donne-nous tout ce que t'as ! Et vite ! Sinon, tu sais ce qui t'attends, petit pédé ! » J'attrape les quelques billets dans ma poche et les lui tends rapidement pour en finir. Il s'en saisi et les range immédiatement dans sa veste avant de commencer à me frapper. Très vite, deux autres garçons viennent l'aider à m'anéantir pendant que la jeune fille filme la scène d'un sourire narquois. Je n'arrive même pas à crier de douleur, ni même à pleurer. Je n'essaye pas de me défendre, j'attends simplement que ce moment douloureux se termine. Je les laisse faire en pensant qu'ils finiront par s'ennuyer de moi. J'ai tord... Ils vont me martyriser, demain et après-demain... Mais je finirai par les tuer. Oui, je les tuerai tous.

Je me réveille en sursaut, la gorge sèche, le corps transpirant. Je tends nerveusement les mains devant mon visage essayant de contrôler mes tremblements incessants. Je sais ce qui m'arrive. Je fais une crise d'angoisse. Je courre rapidement jusqu'à la salle de bain pour avaler une de mes pilules bleus avant d'entrer dans la douche pour faire couler l'eau sur moi. C'est ce qui m'apaise le plus rapidement possible lorsque je panique aussi intensément...lorsque je rêve...de mon passé. Le collège, le lycée...c'était l'enfer pour moi. J'étais différent, trop différent des autres gamins pour être accepté. Sûrement parce que j'avais déjà traversé des moments difficiles...des moments qu'ils ne connaîtront peut-être jamais de leur vie. Le pire moment d'insécurité, c'est quand on perd tous ses moyens, quand on ne sait plus quoi faire, quand on est comme perdu alors que tout nous semble familier autour. Quand on sait qu'on est seul, que tout peut nous atteindre et nous détruire, quand on sait que le pire est à venir et qu'il simplement impossible de l'éviter. C'était la prison pour moi, comme si chacun des élèves m'attendaient patiemment, chaque matin pour me juger et me rappeler que je ne valais pas la peine de vivre. Toute ma vie j'ai eu l'impression que les gens m'attendez au tournant pour me condamner. Eux aussi je les ai pardonné, comme j'ai pardonné ceux qui m'ont fait souffrir auparavant. Parce que je voulais être plus intelligent qu'eux, je voulais gagner sur la vie, sur cette société qui se fiche de tout... J'ai pris confiance en moi et j'ai méprisé le monde entier, je l'ai détesté, je l'ai haïs. Je ne respecte personne et je ne crois en personne juste parce que moi, personne n'a essayé de me croire, ni même de me respecter. Au moins, je suis sûr que personne ne risque de me voir pleurer et de me prendre de haut par la suite. Mais..pour la première fois de ma vie...j'ai comme le sentiment que quelqu'un essaye de me comprendre. Pas pour mieux m'humilier, bien au contraire, pour mieux pouvoir apprendre à me connaître réellement...Après une longue douche, j'ai fini par sortir et aller manger quelque chose. J'ignore Takuya parce que malencontreusement, je me souviens de tout ce que j'ai fais ou dis la veille, ce qui m'embarrasse plus que je ne l'aurai pensé. Pour qui doit-il me prendre désormais ? Je suis plutôt gêné et humilié face à mon comportement insolent. Peut-être que Takuya s'imagine que je joue avec lui...que je me moque de lui, ce qui est loin d'être vrai en réalité. Je suis installé sur le sofa alors qu'il dîne tranquillement dans la cuisine, sans faire aucun bruit. J'évite son regard mais je sens bien que le sien insiste sur ma personne. Et plus il le fait, plus ça m'angoisse... Il vient s'asseoir à mes côtés, sans rien dire. Et dans ce silence incertain, nous avons regardé un premier film sans bouger, sans parler retenant presque nos respirations. Mais cet idiot...il continue de m'observer et je sens que je vais vraiment finir par craquer s'il ne cesse pas ce jeu.

Évidence |takujae|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant