14 : Nous devenons vivant dans un moment de peur.

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J'ai finis par regagner l'appartement au bout de vingt minutes. C'est la première fois que je mets autant de temps à rentrer. Lorsque je pénètre à l'intérieur, je me rends bien vite compte que l'habitat est étouffé par un silence pesant. Je me détache de mes chaussures et m'enfonce prudemment dans le couloir. Takuya est là. Assis sur le sofa, la tête enfouie dans ses deux grandes mains. Est-ce qu'il m'attendait ? J'ose à peine avaler ma salive par peur qu'au moindre bruit il ne me saute dessus pour me frapper comme un moins que rien. J'ai tellement merdé, je ne sais pas si j'arriverai à me rattraper à ses yeux. J'attends bien cinq minutes, debout, les bras le long du corps sans rien dire ni même bouger. Mon colocataire japonais finit par prendre la parole et honnêtement, j'ai peur de ce que nous allons devenir dans les minutes futures.

– « T'étais où ? » me demande-t-il impassiblement sans même lever les yeux vers moi. Je tremble légèrement sans vraiment savoir pourquoi. Je devrais être sûr de moi, de mes paroles, de mes actes mais non...je continue d'avoir peur de son jugement. Et je crois savoir pourquoi...

– « Chez Taehyung. » dis-je de manière neutre pour ne pas trahir à quel point tout ça me rend complètement dingue. Il soupire et pose enfin les yeux sur moi. J'évite malgré tout son regard, je ne veux pas encore le regarder, j'ai besoin d'un peu de temps...même quelques secondes me suffiront. Takuya s'enfonce dans le sofa avant de croiser les bras contre son torse, signe qu'il crée inconsciemment une certaine distance entre nous.

– « J'ai tellement de mal à te comprendre, Jaejoon... » susurre-t-il, tout en plongeant son sombre regard sur la table basse du salon. Pour réussir à me comprendre, il faudrait savoir qui je suis, il faudrait connaître ma vie. Il faudrait détailler mon regard, triste mais tendre avec qui le veut. Il faudrait connaître mon passé, le décor de mon enfance, le jugement de mes frères et de ma sœur, le souffle et la résonance de mes cris. Il faudrait connaître mes nuits, mes longues insomnies et quand vient le jour, ma crainte d'affronter la vie, les gens. Il faudrait pouvoir deviner ma douleur, ce qu'elle me fait ressentir chaque jours et ce qu'elle m'empêche de dire et de faire lorsqu'une once de courage me traverse l'esprit. Il faudrait avoir connu mes parents, leurs mépris et les gestes de mes kidnappeurs. Il faudrait avoir connu la faim, la fatigue, le désespoir mais plus que tout, l'envie de mourir. Pour me comprendre...pour réussir à me comprendre, il faudrait déjà que j'accepte de m'ouvrir à toi.

– « Je suis désolé. » murmurais-je sans même réfléchir aux conséquences de ces mots. Je vais céder, je le sais. Takuya m'ignore complètement...c'est simplement sa façon à lui de se détourner de la réalité et de ce que nous nous sommes balancés au visage hier. Je pense que je serai tout aussi contrarié que lui si quelqu'un m'avait rejeté comme je l'ai fais. J'ai été ignoble avec lui, j'en ai pleinement conscience.

– « Arrête de te foutre de moi, enfoiré. » rit-il sèchement pour me faire part sa haine. Je frissonne en le voyant réagir comme ça, il est si différent. Tout ça à cause de moi. Je suis non seulement en train d'empirer mon état en t'éloignant de moi mais voilà que je commence également à te changer, à te rendre fou...à te rendre aussi stupide et morose que moi.

– « Laisse-moi recommencer. » adjurais-je d'une voix légèrement désespérée. Takuya se redresse, surpris. Immédiatement, il m'interroge du regard, créant alors notre premier contact visuel depuis que je suis rentré. Il est certainement perdu par la tournure des choses. « Tout ce que je t'ai fais jusqu'ici, laisse-moi réessayer. » affirmais-je une nouvelle fois, convaincu de ce que je veux là, tout de suite. Bien évidement, je ne parle pas de toute la souffrance que je lui apporte en agissant comme le pire des connards, je n'évoque pas toute la frustration que je créé à chaque fois que je le pousse à venir vers moi pour mieux le rejeter sans même aucun respect. Non. Je parle de tous ces moments de plaisir et de bonheur, de tous ces moments où j'arrivais à te faire sourire plus encore qu'à ton habitude.

Évidence |takujae|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant