28 : Septembre 2009.

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Séoul, septembre 2009

– « Mon Dieu, Jaejoon ! Tu vas bien, tu n'as rien de casser ? » s'inquiète follement le Professeur Choi en s'agenouillant face moi pour analyser mon corps. Il s'attarde quelques secondes sur mon visage bien amoché. J'ai la lèvre enflée, la joue abîmée et l'œil droit gonflé. Je sais que je n'aurai pas du me battre mais...c'était trop difficile. Je ne pouvais pas me retenir davantage. Je peux lire dans ses yeux la déception et la peur qui l'ont traversé lorsque la secrétaire Kim l'a appelé d'urgence pour lui demander de venir me chercher. Alors qu'il cherche quelque chose à dire, la porte du bureau de la directrice s'ouvre pour laisser les deux autres garçons impliqués sortir, accompagnés de leurs parents. Je me contente de garder les yeux baissés, à contempler le sol pour ne pas leur donner satisfaction de mes blessures. Professeur Choi se relève et s'incline respectueusement à quatre-vingt dix degrés pour s'excuser de mon comportement mais comme tout bon parent bien friqué et méprisant le ferait, les autres adultes se contentent d'un sale regard avant de disparaître avec les petits cons qui leurs servent de fils.

– « Qu'est-ce que vous faites ici ? » demande la directrice à mon Professeur privé, de son air autoritaire et supérieur à travers ses lunettes de marque. Mr Choi s'avance rapidement et s'incline à nouveau avant de reprendre maladroitement.

– « Madame la directrice, laissez-moi m'occuper de ça. Jaejoon a juste besoin qu'on l'écoute et qu'on...»

– « J'ai appelé ses parents, ils arrivent. C'est déjà la troisième fois qu'il se bat avec ses camarades. Je ne peux plus fermer les yeux et vous laisser vous occuper de ça. Je veux parler avec ses tuteurs légales, sinon Jaejoon sera expulsé définitivement. » vient-elle l'interrompre sans même le regarder. Elle retourne s'enfermer dans son bureau après avoir jeté un long regard noir à sa secrétaire. La secrétaire est une amie de Mr Choi, alors elle avait convenu avec lui de veiller sur moi lorsque j'avais des ennuis. Malheureusement, aujourd'hui ne se passera pas comme la dernière fois, mes parents vont venir ici, ils vont se déplacer à cause de moi. Je pense que je vais souffrir pour m'être battu et avoir dénigré la fierté et le nom de ma famille alors que tous mes autres frères et sœurs ont toujours bien fait dans ce lycée. Professeur Choi soupire longuement avant de venir s'asseoir sur l'une des chaises près de moi. Je ne le dirai pas mais...je suis reconnaissant qu'il choisisse d'attendre mes parents avec moi, bien que nous sachions tous les deux que la futur conversation sera loin d'être agréable.

– « Pourquoi tu t'es battu, cette fois ? » demande-t-il en croisant ses mains. Toujours les yeux rivés sur le sol, je réponds calmement et avec honnêteté.

– « Ils disaient que je n'étais pas normal... J'avais juste besoin de les faire taire pour aujourd'hui... » J'ai sûrement réagis avec impulsion et agressivité. Professeur Choi m'a toujours conseillé de les ignorer et de les laisser parler mais aujourd'hui, alors que je me bats chaque jour pour suivre ses précieux conseils, j'ai cédé. Ils étaient là, à sourire et dire n'importe quoi devant les autres élèves seulement dans le but de les faire rire et de m'humilier. Je n'avais pas le courage et l'humilité pour les laisser s'en sortir sans rien faire.

– « Je vois... Tu sais que tes parents vont bientôt arriver et qu'il faudra le leur expliquer ? » me rappelle-t-il, comme pour me faire la morale. Il sait que j'en ai conscience. Ce qu'il veut dire par là, c'est qu'il va falloir que je sois franc avec mes parents mais...il sait très bien que je vais me taire et me contenter d'accepter ma punition sans rechigner. Recevoir les moqueries de mes camarades de classe est déjà assez humiliant alors je ne pourrai jamais avouer à mes parents que je suis celui que l'on martyrise seulement parce que je suis un peu trop silencieux. Ça ne ferait qu'affirmer ce qu'ils disent et répètent constamment à la maison lorsqu'ils me croisent.

– « Je ne... »

– « Qu'est-ce que vous faites ici ? Vous êtes qui pour venir ici lorsque mon fils est convoqué, hein ? » s'exclame mon père, d'un calme et d'une autorité désarmante alors qu'il marche rapidement vers nous. Professeur Choi se lève et s'incline respectueusement.

– « J'ai cru que vous seriez occupés et que vous... »

– « Je rêve là ? Vous pensez que parce qu'on vous paye vous pouvez tout vous permettre ? » s'indigne ma mère en m'attrapant brusquement par mon uniforme pour me ramener auprès d'elle, comme si j'étais sa propriété. Tel un objet, elle me place à côté d'elle, énervé par le comportement du seul ami que j'ai sur cette terre. Mon père me regarde furtivement de haut en bas, admirant certainement les dégâts causés par mes deux camarades de classe alors que Mr Choi continue de vouloir me défendre comme s'il était mon avocat attitré.

– « Monsieur et Madame Lee, vous êtes là. Entrez, je vous prie. » intervient la directrice, certainement attirée par la fureur de ma mère. Mon père me fait signe d'entrer le premier me suivant de très près.

– « Vous êtes virés. N'approchez plus jamais mon fils, c'est bien clair ? » hurle ma mère comme un furie avant de lui jeter quelques billets au visage. Elle n'a vraiment aucun respect, aucune conscience. Voyant le regard désarmé qu'arbore Mr Choi, les larmes se mettent à rouler sur mes joues dans un silence pesant. J'aimerai crier, hurler, courir et frapper mais je ne fais rien. Je suis assis comme un minable sur cette chaise, juste à côté de mon père et je pleurs. Ce dernier me tends un mouchoir sans aucun sentiment alors que ma mère entre enfin dans le bureau de la directrice, celle-ci visiblement apeurée par le futur déroulement de cette conversation.


Ma gorge se resserre lorsque je repense à cette journée. Mes parents ont fini par signer un chèque à l'établissement et plus aucune poursuite n'a été faite. Mr Choi a été licencié et moi, j'ai retrouvé une solitude que je n'avais plus connu depuis mes huit ans. Cette année a été longue et douloureuse... Et comme je n'avais plus personne à qui parler, à qui me confier, je me suis battu, encore et encore, causant des tords à ma famille sans aucune culpabilité. Et j'ai continué sur ma ligné jusqu'à mes dix-neuf ans, jour de ma libération et du début de ma nouvelle vie.

– « Jaejoon ? Tu vas bien ? » me questionne Mr Choi de son petit sourire. Je jette un rapide regard à Takuya, ils sont tous les deux en train de m'observer curieusement. Ai-je été absent aussi longtemps ? Je n'ai pas écouté un mot de ce qu'ils viennent de dire.

– « Excusez-moi. J'étais...ailleurs... » m'excusais-je nerveusement avant de boire une grande gorgée de mon café froid. Takuya imite mon geste visiblement mal à l'aise de ne rien connaître de la situation. Après avoir rencontré ma famille, je suppose qu'il ne sait plus comment agir avec ceux que je connais.

– « Tu as tellement changé... Alors dis-moi que fais-tu aujourd'hui ? » m'interroge-t-il en venant s'appuyer sur la table comme s'il était extrêmement intéressé. J'hésite quelques secondes...puis finis par lui répondre mécaniquement.

– « Je suis compositeur donc parolier et musicien. J'ai eu mon Suneung et mon diplôme d'étude musicale... Je travaille depuis mes dix-neuf ans... » Professeur Choi semble s'extasier sur mes aveux. Il affiche un large sourire, il a l'air heureux d'apprendre ce que je fais. Sûrement plus heureux de savoir que j'ai réussi à m'extirper de cette famille de fou.

– « Tu as continué la guitare alors ? » J'hoche la tête avant de venir me frotter la nuque, embarrassé. Cette conversation est si étrange. « Et vous ? Vous êtes ici depuis longtemps ? » Voilà que maintenant, il commence à s'intéresser poliment à mon colocataire. Takuya me regarde comme pour me demander la permission de lui répondre, je lui fais un léger signe puis de son air chaleureux, il répond.

– « J'ai emménagé chez Jaejoon, il y a deux mois environ. » sourit-il gentillement. Mr Choi semble apprécier sa bonne humeur et sa bonne humeur puisque ce dernier se détend instantanément.

– « Je vois. Vous vous plaisez ici ? » continue-t-il tout sourire. Takuya hoche la tête puis ils commencent à discuter de ses études. Je me contente de fixer mon ancien professeur, les traits de son visage ont changé, il a aussi de nouvelles lunettes et ses cheveux sont coiffés différemment. Ça ne m'embête pas que Takuya fasse la conversation avec lui, j'apprécie simplement sa voix rauque et analgésique qui apaise quelques regrets du passé. « Alors, je me doute que c'est tout récent entre vous deux... » finit-il par dire. Cette phrase a subitement capté mon attention. Takuya arrête de sourire avant de se tourner vers moi, paniqué et désolé. Mes joues rougissent de gêne, mon cœur s'accélère mais je ne peux toujours rien dire.

– « Oui, ça s'est fait comme ça... » se force à répondre Takuya après dix secondes de malaise. Professeur Choi arbore toujours son magnifique sourire aimant, comme si la conversation n'était aucunement bizarre pour lui.

– « Je suis content que Jaejoon t'ait rencontré. Il avait besoin de quelqu'un comme toi. » avoue-t-il à Takuya. Connaissant mon homme parfaitement, je ne pouvais que prévoir son large sourire et ses légers sautillement de bonheur sur sa chaise lorsque Mr Choi a prononcé ces mots. Je croise furtivement son regard mais j'ai trop honte et trop peur de son jugement pour le regarder droit dans les yeux. « Jaejoon, tu... »

– « Je suis désolé. » susurrais-je promptement pour l'interrompre. Il m'interroge du regard, ne comprenant pas ce que j'essaye de dire. « Il y a sept ans...quand vous êtes venu au lycée...je suis désolé de n'avoir rien fait... » J'avais besoin de lui dire ces mots, de le dire avant de ne plus en avoir l'occasion. Puis, il fallait surtout que je lui fasse oublier ce qu'il venait d'apprendre. Mr Choi vient serrer ma main d'un sourire triste.

– « Ne t'excuse pas. Tu es comme un fils pour moi...tu étais trop jeune...tu ne pouvais rien faire. » Même si je sais que jamais je ne pourrai revenir en arrière pour défendre le seul ami que j'avais, pour maudire mes parents pour ce qu'ils m'avaient enlevé...ses mots m'apaisent...ses mots me soulagent

– « Merci. » dis-je doucement. Nous ne sommes restés que quelques minutes de plus avant de nous séparer. Nous avons échangé nos numéros, nous promettant de nous recontacter et de nous revoir. Je crois que le bonheur me tombe enfin dessus... Takuya et maintenant Choi Wonyeong. Peut-être que Takuya avait raison, peut-être que ma vie ne peut pas être pire et que désormais tout ne sera que plus beau et plus facile à vivre. Je suis monté côté passager, laissant Takuya conduire jusqu'à l'appartement. Cette rencontre, aussi belle soit-elle, m'a épuisé émotionnellement parlant. Revoir mon professeur, repenser à ce que j'ai vécu il y a exactement quatorze ans...tout ça me bouffe beaucoup trop de l'intérieur. J'ai l'impression que pour la première fois de ma vie, je m'apprête à affronter mon mal être, mon passé, mon traumatisme, je suis déterminé à l'attaquer de front. Sûrement grâce au courage que m'apporte l'amour de Takuya, le fait que je puisse sourire et rire puis cette rencontre inattendue... Cette année est meilleure que toutes les années précédentes, j'en suis certain. Je vais cessé d'être confronté à ce duel psychologique, à ces cauchemars qui ont hanté mon adolescence et qui perturbe ma vie au quotidien.

– « Tu vas bien ? » m'interroge Takuya, concentré sur la route. J'hoche simplement la tête, observant par la fenêtre les alentours. Je peux ressentir la gêne et l'inquiétude rien qu'à la façon dont il conduit. Je sais qu'il m'aime et qu'il aimerait que je mette des mots sur ce que je ressens en ce moment, pour l'aider à me comprendre et me réconforter mais...je n'y arrive pas.

– « Je suis désolé pour le dîner. Encore une fois...c'était une catastrophe. » ajoutais-je toujours en évitant son regard. Takuya affiche un sourire satisfait avant de commencer à se garer devant l'immeuble.

– « Non, j'ai vraiment passé une bonne journée. J'étais heureux de pouvoir me présenter en tant que ton petit-ami à quelqu'un qui a de l'importance pour toi. » partage-t-il naturellement tout en se retournant pour entamer sa marche arrière. Je reste l'admirer faire, surpris par cet aveu. Il est réellement heureux d'avoir rencontré Professeur Choi ? Une fois la voiture éteinte, il remarque que je n'ai toujours pas bougé et que mes yeux ne se détachent plus de lui. « Quoi ? »

– « Tu es sérieux ? » tentais-je de m'assurer. Il hoche activement la tête avant de venir m'embrasser rapidement.

– « Hum. J'ai vu à quel point tu étais touché de le revoir après tant d'années. J'ai eu chaud au cœur en vous regardant, complètement intimidée mais heureux l'un face à l'autre. » sourit-il. Je sors de la voiture, imitant son geste pour venir lui serrer la main et l'embrasser passionnément. Je l'aime cet homme...il n'y a que lui pour se réjouir d'une telle chose. J'en suis certain désormais. La prochaine semaine sera douloureuse mais pas autant que les autres années, parce que tu seras là, auprès de moi et que je sais que ton amour me fera tout supporter.

Je me suis réveillé en sursaut cette nuit. J'ai rêvé que je tuais et dépeçais toute ma famille en morceau. Dans cette immense maison qu'est la leur, j'ai poignardé mes parents, mes frères et mes sœurs puis, j'ai mis fin à mes jours, juste devant mon petit-ami. Takuya m'a regardé comme si j'étais un monstre. Puis soudainement, je suis apparu dans cette pièce vide et complètement noire, celle qui avait été ma demeure pendant près de deux semaines. J'ai revu les mains et les gestes de mes ravisseurs sans pour autant percevoir leur visage. Mais j'entendais leurs rires, je ressentais leurs mains et leurs sexes contre mon petit corps affaibli... Puis, lorsque l'un d'eux m'a pénétré, j'ai crié. J'ai crié si fort que mon subconscient m'a forcé à me réveiller, réussissant enfin à me libérer de cette prison. Même si ce n'est pas le première fois que je fais ce genre de cauchemar...j'ai une mauvaise impression. J'ai l'impression que quelque chose d'horrible va arriver. Tellement horrible que j'en ai froid dans le dos...

Évidence |takujae|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant