36 : Le faux courage.

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La sonnerie retentit dans tout l'appartement, venant même s'éterniser à l'intérieur de ma tête. Me saoulant jour après jour depuis que Takuya m'a abandonné, j'ai toujours beaucoup de mal à me réveiller normalement. Le plus souvent, je dors pendant des heures et évite les maux de tête affreux en continuant de boire. J'ouvre un œil et comprends que je suis allongé sur le sofa. Je ne me souviens pas de ma journée d'hier et encore moins d'avant-hier. J'entame la troisième semaine de séparation, ce qui signifie que je devrais aller mieux mais pour être honnête, j'ai la nette impression que c'est de pire en pire. Le fait qu'un énergumène s'active à appuyer sur la sonnette de l'autre côté de la porte me force à me lever le plus rapidement possible pour faire taire ce vacarme.

– « Jaejoon... » C'est surprenant. Tellement surprenant. Intérieurement, j'ai espéré que ce soit Takuya. J'avais comme une impression de déjà vu avec le jour de son arrivée : la gueule de bois, de vague souvenir de la veille, un appartement en désordre et une sonnerie qui ne cessait pas. Mais la réalité m'a vite rattrapé parce que le sourire de Takuya, ce magnifique sourire qu'il ne faisait que m'adresser en permanence lorsqu'il a emménagé ici, n'était pas présent. A la place de ce délicieux détail visuel, j'avais le droit à la visite surprise de mon père. Oui, mon père. Le grand Lee Sungjoon se trouve juste devant moi, l'expression complètement nerveuse et embarrassée. On dirait presque une toute autre personne...

– « C'est...surprenant de vous voir ici. » me contentais-je de dire, ne sachant réellement comment me comporter après ce que je lui ai balancé au visage la dernière fois.

– « Je peux entrer ? » me demande-t-il simplement. Je le laisse entrer même si je doute qu'il se sente plus à l'aise à l'intérieur. Je le suis et viens ouvrir les volets et débarrasser la table basse silencieusement alors que mon paternel reste debout, scrutant les environs attentivement. « C'est étrange de mettre les pieds ici. C'est la première fois en trois ans. » sourit-il, gêné. Je lui fais signe de s'asseoir sans rétorquer à cette remarque idiote. Il n'était vraiment pas nécessaire de me rappeler que tu manquais à l'appel durant tout ce temps...

– « Tu veux boire quelque chose ? » dis-je maladroitement en venant me frotter la nuque, comme un petit garçon. C'est si perturbant de me retrouver seul avec lui dans mon propre appartement. Je redeviens immédiatement le petit garçon apeuré et anxieux en la présence de son paternel et autant dire que ça ne me rappelle pas que de bons souvenirs.

– « De l'eau fraîche, si tu as. » J'hoche la tête et vais lui servir un verre. Je m'en sers un également, sans oublier de prendre quelques médicaments pour apaiser ma douleur cérébrale. Puisqu'il a pris la peine de se déplacer jusqu'ici, je suppose que la future conversation risque d'être sérieuse et déplaisante, alors autant me préparer. Je dépose son eau sur la table basse et viens m'asseoir sur le sol, là où avait l'habitude de prendre place mon colocataire japonais lorsque je recevais la visite de ma famille. C'est idiot. Je ne sais pas vraiment pourquoi je fais autant de manière avec mon père. Avec ma mère, je ne prenais même pas le temps de ranger avant de m'asseoir à ses côtés sur le canapé.

– « Pourquoi êtes-vous ici ? » le questionnais-je directement. Je suis épuisé, fatigué et malade. Je ne préfère pas tourner autour du pot aujourd'hui, autant être honnête et clair. Plus vite la discussion sera close, plus vite je pourrai retourner me perdre dans les bras de Morphée et fantasmer à ma guise.

– « Je... Même si tu nous renies, je tenais à te dire que tu auras toujours ta place sur mon testament. Parce que tu es mon fils, que je t'aime et que...j'ai... Je te dois énormément. Je n'ai pas été un bon père pour toi. Je... Je n'ai pas su te protéger et prendre soin de toi, alors... Alors que je voulais le faire depuis des années, je n'ai jamais trouvé la force de te faire face...j'avais trop honte, j'étais trop humilié pour te présenter des excuses comme il le fallait... Donc... Je suis désolé, Jaejoon. Pour tout ce que tu as dû subir, sans moi, sans nous, à cause de nous...mais aussi pour tout le mal que j'ai pu te faire. En fait, je suis désolé pour tout. » termine-t-il avant de venir se mettre à genou, face à moi. Les mots qu'il vient de prononcer, ceux que j'ai toujours voulu entendre sortir de son orifice, m'ont déjà complètement scotché mais...lorsqu'il est venu se mettre à genou, lorsqu'il s'est abaissé à mon niveau comme s'il n'était qu'un moins que rien, les larmes ont coulé. J'ai rêvé de ce moment des centaines de fois étant gosse alors j'ai vraiment du mal à en prendre conscience aujourd'hui. Le fait que je sois complètement à bout ces derniers temps en est peut-être pour beaucoup mais, je suis reconnaissant qu'il ait enfin fait un pas vers moi. Je ne devrais pas me réjouir aussi vite, je ne devrais pas me dériver aussi rapidement après tout ce que j'ai vécu dans le passé, tout ce que j'ai affronté seul mais...j'avais besoin de ça. Oui, j'avais besoin de savoir qu'il m'aimait, qu'il ne m'a jamais détesté pour être ce que je suis devenu par la faute de ce traumatisme, qu'il n'avait juste pas les mots pour me réconforter. Certains diront que je suis naïf de lui pardonner aussi vite mais...c'est mon père. J'ai toujours voulu qu'il soit fier de moi, qu'il me prenne dans ses bras, qu'il me traite comme tel alors...oui. Oui, j'ai envie de croire en lui....pour la simple et bonne raison que je ne crois plus en rien en ce moment.

Évidence |takujae|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant