Chapitre 4 : Ils ?

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Je regarde fixement ce verre. Ce foutue verre à moitié vide... ou à moitié plein.

Je me suis donc rendue dans un petit bar de quartier dans le but de boire jusqu'à plus soif. Mais là, maintenant, face à ce verre, je n'en ai plus vraiment le cœur et c'est bien la première fois que cela m'arrive.

Il s'avère que mes pensées ne cessent de revenir à cet énigmatique personnage qu'est l'homme que j'héberge. Il sait ce que je suis... Il connaît mes capacités... et pourtant, je suis toujours là. Je suis toujours en vie.

"Vie"... Le principe-même de "vie" m'échappe.

En faisant une rapide introspection, je me rends compte n'avoir jamais réellement vécu. Je n'ai fait que fuir et survivre, ne pouvant rester statique en un même lieu, au risque qu'ils me retrouvent.

L'être humain est un animal des plus cruel et sadiques. Et il est l'une des rares espèces à tuer et à torturer par plaisir, que ce soient ses propres congénères ou autres. Ce comportement hostile m'abhorre.

Je radote, mais...

 Tenez, un exemple !

Vous connaissez la "Georgia Guidestones" ? Cette stèle sur laquelle il est clairement inscrit, et dans plusieurs langues, qu'il faut maintenir l'humanité en-dessous de cinq cents millions d'êtres ?

Et connaissez-vous les programmes de stérilisations contraintes ? Notamment en Inde où cela a fait polémique. Les médias ont rapidement étouffé l'affaire, bien évidemment.

Ah ! Mais continuons !

Oui, et si nous parlions du génocide ayant eu lieu au Congo l'an dernier ? Six millions de morts, principalement des femmes et des enfants.

Je hais les humains. Je les déteste.

Je déteste ce qu'ils ont fait de moi : un monstre.

Je ne vis plus que dans la paranoïa et la peur qu'ils finissent par me retrouver.

Et cet homme... cet homme...

Je me revois lui porter secours et je me demande pourquoi j'ai fait cela.

J'aurais dû le laisser crever, il ne mérite pas mon empathie ! Soupirant faiblement en portant le verre à mes lèvres, mon regard cendré croise celui du barman qui me sourit avec indulgence.

"Dure journée, hein ?" entonne-t-il.

T'as pas idée, mon pote.

Je réponds affirmativement par un grognement exaspéré. Il ne cherche pas plus loin, c'est pas ses affaires après tout. 

Je passe l'après-midi dans son rade pourri, à ruminer dans mon coin mes bien sombres pensées. Et je n'en ressors pas même bourrée ! Non. Je suis restée sagement assise face à ce verre pas suffisamment rempli.

Dehors, la nuit est déjà tombée et d'épais nuages cachent la lumière de la lune, ne rendant ces ruelles que plus inquiétantes qu'elles ne le sont d'ordinaire. Mais j'aime cette atmosphère angoissante et mystérieuse.

À chaque coin de rue, un homme mal intentionné peut surgir et m'attaquer. Je l'imagine déjà, faible, pathétique, brandissant son couteau, cette futile arme blanche, en pensant m'impressionner. Si pitoyable... que c'en est presque risible.

Et je me vois, d'un geste vivace, agripper son poignet d'une main pour le déposséder de son unique arme de l'autre. Je me vois créer une torsion avec son bras pour le plaquer contre mon buste, glissant sa propre lame sous sa gorge. Je me vois briser sa cheville d'un simple coup de pied, résultant sur un exquis cri de douleur.

Cette scène...

Si seulement elle n'était pas réelle. Si seulement elle était le simple fruit de mon imagination. Mais non, ils ont aiguisé mes sens et mon intuition n'en est ressortie que décuplée.

L'assaillant surgit bel et bien avec son pathétique arsenal. Et j'exécute sans le moindre préambule ces gestes rapidement pensés. De fait, je n'ai aucun mal à le mettre hors d'état de nuire. De me nuire !

J'analyse rapidement les traits de son visage, sa physionomie, et le verdict tombe : une simple raclure comme tant d'autres existant en ces bas-fonds.

Ville merdique.

Pays merdique. 

Vie merdique.

Rapides et succincts, un simple coup dans la trachée suivi d'un second en plein plexus solaire me permet d'envoyer l'homme valser promptement contre les poubelles, à un mètre de ma position.

Je reprends mon chemin, je ne préfère pas m'attarder. Le bruit a dû attirer l'attention de quelques commères curieuses et avides de nouvelles à colporter.

J'ajuste le col de ma veste en cuir, tout en regardant les fenêtres des immeubles alentours. J'oubliais que l'homme... appelons-le "Bobby"... avait déchiré mon t-shirt fétiche afin d'en dévoiler mon tatouage, 'HGM-01'. L'enfoiré.

C'est donc d'un pas hâtif que je m'empresse de rentrer à mon appartement.

Sera-t-il là ? J'espère pas. Je ne veux plus le voir. Je ne veux plus avoir à soutenir son hypnotique regard. Maintenant qu'il sait ce que je suis, ça sera bien trop dur à  supporter. Je suis un monstre. Je n'ai pas envie qu'on me le rappelle. 

Mais, alors que je m'approche du lieu tant espéré, je remarque une ligne de berline noire stationnée à son pied. Je baisse alors la tête tout en traversant la rue pour me retrouver du côté opposé.

Je marche d'un pas lent, tout en prenant une allure décontractée, presque dissimulée dans l'ombre, éloignée de toute source lumineuse. Je ne m'arrête qu'à un croisement, afin de pouvoir me cacher de leur vision. Puis... j'observe.

Des hommes en costumes trois pièces entrent et sortent régulièrement.

Nom de Dieu, m'ont-ils finalement retrouvée ?

Qu'est-il advenu de Bobby ?

FugitiveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant