Les mains tremblantes et la lettre maintenant tachée par les larmes qui coulent inexorablement le long de mes joues, je la repose près du paquet ouvert. Je m'effondre sur le froid, couvert du sang de mon ami.
Mon ami.
Je porte une main contre ma poitrine, avant qu'une phrase ne me revienne en mémoire : "je t'ai donnée mon cœur". J'agrippe brusquement le col de ma tunique, puis je la déchire sans plus de cérémonie. C'est alors que je vois avec effarement une longue cicatrice partant de mes clavicules jusqu'à mon diaphragme. Mes dents mordent ma lèvre inférieure, tandis que je glisse mon index le long de la balafre. Je laisse un petit couinement m'échapper, tout en prenant mon visage dans mes mains pour me laisser aller dans ma peine.
Je ne sais combien de temps s'écoule avant que je ne me relève, les jambes flageolantes et les lambeaux de mon vêtement glissant le long de mon corps. Je prends appui sur la table d'opération, dardant mon regard sur le petit paquet. Là encore, les minutes défilent avec une lenteur acerbe, amère. J'attrape cette boîte qui ne cesse de me narguer et, dans un geste rageur, j'en vide le contenu dessus.
S'étalent devant moi un passeport, une carte d'identité, la fameuse boîte de médicaments et un portefeuille. Dans ce dernier se trouve une blackcard, accompagnée d'un petit mot :
"Fais-en bonne usage, chérie".
"Chérie" ?
Je prends alors la carte d'identité et je découvre mon nouveau nom avec perplexité : "Fleure De Lajade". Je suis donc officiellement la femme d'Antoine.
Je repose alors le carton plastifié en arborant un air ébahi, avant de tout bonnement éclater de rire. Un rire nerveux, mais aussi, et surtout, un rire amusé par l'ultime pitrerie de mon ami. J'essuie mes joues tout en regardant mes items avec tendresse. Cet homme a pensé à tout. Et... je suis fière d'aujourd'hui porter son nom.
Je laisse mes affaires ici, il me faut des vêtements et je souhaite explorer les lieux. De fait, bien que dénudée, je quitte la salle sans nul complexe, chancelant toujours légèrement. Cela me permettra de dégourdir mes jambes.
Je m'arrête sur le pas de la porte maintenant ouverte. Sur le sol, adossée contre le mur face à moi, se trouve la femme acariâtre et fort désagréable rencontrée le jour de mon arrivée.
Morte.
Je n'entends ni son cœur battre, ni même le sang parcourir ses veines. Elle ne respire pas plus qu'elle ne bouge.
Morte.
Et je ne ressens aucun scrupule à lui voler ses vêtements, qui sont, par chance, à ma taille. Hormis les chaussures. Ses pieds étaient plus grands que les miens, de toute évidence. Tant pis, j'enfile sa paire de rangers, dont je serre au maximum les lacets, le treillis, son t-shirt et sa polaire, noirs. Je me passerai du gilet pare-balles.
J'en profite également pour tâter son corps et c'est avec horreur que je sens sa colonne vertébrale complètement brisée. De la nuque jusqu'au coccyx. Pauvre femme. Elle me ferait presque pitié. Mais après ce que je viens de vivre, je n'arrive pas même à éprouver de la compassion envers cette sorcière.
Je remarque sur son annulaire gauche un anneau en or, une alliance. Madame était donc mariée ? Je crispe ma mâchoire tout en la lui retirant, non sans me sentir mal-à-l'aise. Ce n'est pas très... moral, ce que je fais. Mais puisque je suis censée être mariée... En plus, cette bague me va parfaitement !
"Désolée... j'vous l'emprunte pour un temps indéterminé."
J'observe le bijou qui maintenant m'appartient, subjuguée. Elle me va bien. Je sens mes joues prendre une teinte légèrement rosée, mordillant nerveusement ma lèvre inférieure. Je ne dois pas avoir ce genre de pensées. Ni même perdre de vue ma mission.
A ce propos, je me demande où sont Bertrand et Violette. Ils étaient présents avant que l'on ne m'injecte le produit qui m'a endormie, probablement une variante de la morphine. Il faut un produit particulièrement puissant pour mettre ainsi H.S une HGM.
Un étrange bruit à ma droite attire soudainement mon attention, en plus de me faire sursauter. Le regard vif et les sens en alerte, je me redresse, abandonnant alors le lamentable cadavre. J'emprunte de ce fait le couloir droit. Il est longiligne et débouche sur deux autres corridors de même couleur, un gris uni, triste et cafardeux. Le bruit se confirme et devient plus clair : je perçois, en vérité, un gémissement plaintif d'une personne, une femme, en pleine souffrance.
Continuant mon investigation, je marche à pas lents, les jambes légèrement pliées pour pouvoir avancer sans bruit, posant tout d'abord la pointe du pied suivie du talon.
Je me cache contre un mur, en angle, percevant tout de même au loin quelqu'un qui m'est familier, allongé sur le sol. Mon sang ne fait qu'un tour, avant que je ne bondisse hors de ma cachette pour la rejoindre. Je la reconnaîtrais entre mille avec ses cheveux violets.
"Violette... VIOLETTE !"
Je cours jusqu'à elle puis je m'agenouille près de son corps. Elle est encore en vie mais elle souffre le martyr, et en voyant ses jambes je comprends pourquoi. Elles sont déchiquetées ! C'est un spectacle écœurant et je préfère détourner le regard.
"Oh mon dieu..." soufflé-je tout en plongeant mes prunelles obsidienne dans les siennes.
Son regard est suppliant et me fait terriblement mal au cœur, pas autant qu'Antoine, mais... tout de même. Nous ne sommes, certes, pas en très bon terme, mais il n'empêche qu'elle fait une redoutable alliée. Non, je ne peux décidément pas l'abandonner ici, aussi misérable et affreuse soit-elle.
"Serre les dents."
Je glisse un bras sur son dos, et l'autre sous ses genoux, puis je me relève en la soulevant. Marchant cette fois-ci lentement et doucement, je la transporte jusqu'au bloc opératoire.
"J'vais pas t'laisser crever !", lui promets-je.
Je la dépose avec la plus grande douceur dont je puisse faire preuve, tout en prenant soin à ne pas blesser d'avantage ses jambes. Cette dernière étouffe un cri de douleur en serrant fortement les dents, tout en se cambrant.
"Morphine... Morphine... Où est cette putain d'morphine ?!" répliqué-je à mon tour, les nerfs à vif. Je fouille absolument tous les tiroirs de cette foutue pièce, jusqu'à trouver une étrange boîte en métal sur laquelle il est inscrit "patch fentanyl".
"Alléluia, soupiré-je en l'ouvrant, Violette, je te promets que tu vas aller mieux. Je... je vais tenter un truc. Je t'avoue ne pas être moi-même certaine de mon coup. Mais... voilà, on a pas trente-six solutions, lui confié-je tout en collant l'un des patchs sur son bras. Puis, j'pense pas être complètement incompétente, tu sais. J'ai... je... euh... Avant de devenir... ce que nous sommes... j'étais étudiante. En médecine, à la fac." je ris nerveusement suite à cette confidence, remarquant que les traits crispés, de par l'intense douleur ressentie, s'apaisent.
"Et eux aussi m'ont appris des trucs. Contrairement à ce que croit... croyait Antoine... j'suis pas complètement débile, incompétente, plutôt. Je ne connais pas le détail du.. de la chose, mais je sais que notre sang contient une protéine qui gère la reconstitution cellulaire. Je ne connais pas le procédé en détail, bien sûr mais...
- Fleure, je t'en pris !" geint-elle en haletant.
J'entends distinctement son rythme cardiaque s'affoler, d'autant plus qu'elle est d'une impressionnante pâleur fantomatique, maladive. je la regarde alors avec inquiétude : elle ne va quand même pas mourir, elle aussi ?!
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Fugitive
Science-FictionBourrée, elle ne s'attendait pas à trouver un homme se vidant de son sang dans une ruelle sombre. En décidant de l'aider, elle se retrouve embarquée dans une affaire qui dépassera l'entendement et remettra en cause religions et croyances populaires...