Chapitre 5 : Bitume

4.6K 472 39
                                    

Des hommes en costumes trois pièces entrent et sortent régulièrement de mon immeuble.

Une personne parfaitement normale, confrontée à ce type de situation, fuirait le plus loin et le plus vite possible.

Un héros, quelqu'un de stupide mais pas moins courageux, lui, se mettrait directement en action.

Comme en sautant sur la rambarde du premier étage sur le côté de l'immeuble afin de pouvoir gravir les étages au-dessus, jusqu'à parvenir à mon appartement. Puis, habilement, il neutraliserait dans la plus grande discrétion chaque homme susceptible de lui nuire.

Mais le fait est que je ne suis ni normale, ni une héroïne.

Je me retrouve agenouillée sur le sol, les mains liées et posées contre ma poitrine. Le souffle me manque et je peine à former une pensée un tant soit peu cohérente. Je suis en pleine crise d'angoisse et je ne cesse de me tourmenter : ils m'ont retrouvée. Ils vont me tuer.

Je regarde de nouveau cette rangée de voitures noires. Quel horrible tableau.

Les lumières de l'immeuble sont toutes allumées, sauf celles de mon appartement et sur le coup, ce détail ne me surprend guère, mon esprit est ailleurs.

Je suis impuissante, et cela m'effraie.

Je détourne mes pupilles dilatées à l'extrême pour fixer le bitume sale et humide... Elles restent strictement rivées sur ce sol impur. Je n'entends plus qu'un long bourdonnement, tandis que mon cœur ne cesse de battre dans un rythme spasmodique. C'est douloureux , j'oscille, je me sens tourner de l'œil. Je ne vais pas tenir, je me sens faillir, faiblir...

Vais-je mourir ?

Ils sont partout.

Vont-ils me tuer ?

Cette idée m'obsède.

Je ne pense qu'à eux.

Ils... vont m'exécuter.

Ils l'ont déjà fait une fois, ils n'hésiteront pas à recommencer.

Ils ne cessent de me torturer !

Je me redresse alors brusquement, mon regard se retrouvant dès lors braqué sur ce ciel que les ténèbres dominent.

C'est la fin. Je suis finie. À quoi bon continuer... ? Fuir, fuir et toujours fuir !

Assez !

Je prends alors une grande inspiration et, à l'instant où je m'apprête à crier, une main se pose sur ma bouche pour m'en empêcher. Une lame se retrouve glissée sous mon cou et une voix familière murmure, contre mon oreille, l'ordre de me taire. Ce que je fais sans demander mon reste.

Nous patientons quelques minutes, qui me semblent être des secondes. Le temps se déforme, lorsque l'on se retrouve sous l'emprise de l'adrénaline. C'est un état particulier qui laisse un goût amer, fort désagréable.

"Bobby... "ne puis-je m'empêcher de chuchoter à mon tour, après que sa main a libéré mes lèvres. Quand bien même chargée de menace, sa voix m'apaise et sa présence parvient à me calmer.

J'inspire et j'expire profondément, longuement, après qu'il m'a demandée qui est "Bobby". Je ne lui réponds pas directement, j'ai besoin d'air, mais respirer m'est toujours aussi douloureux. Il retire la lame de son poignard puis il m'ordonne de me calmer.

Il ne sait que donner des ordres, je déteste ça ! Pourtant, je lui obéis... mais seulement parce que je n'ai pas le choix.

Peu à peu, les palpitations ralentissent tandis que la douleur s'estompe. Si précédemment je me sentais défaillir, je me sens maintenant revivre.

Je suis à présent détendue, grâce à la forte production d'endorphines : lors de situations stressantes, notre organisme en produit naturellement. Seulement, pour ma part, il en produit en bien trop grande quantité.

Je suis défectueuse.

Bobby me regarde avec inquiétude, mais je suis bien trop engourdie pour m'en rendre compte. Je lui adresse un petit sourire désolé et cela semble le surprendre, le choquer. Il est presque déstabilisé par cette émotion que je lui offre.

Pauvre garçon, pensé-je, moqueuse.

Son regard se pose sur mes lèvres tirées et ses prunelles s'assombrissent d'une bien étrange façon. Subjuguée, je l'observe avec plus de minutie. Mes yeux effectuent un zoom, tandis que j'analyse ses traits crispés et la légère couleur rosée teintant ses joues. Penchant ma tête sur le côté, je me demande ce que cela signifie. Une indescriptible chair de poule remonte le long de ma colonne vertébrale, jusqu'à ma nuque et, clignant des yeux, je retrouve une vue parfaitement normale.

Glissant un bras sous mes genoux, et un autre sous mes aisselles, il me soulève pour me porter et, ainsi, rapidement m'éloigner de ce dangereux endroit. Je contemple ce lieu qui fut durant un temps mon foyer et un sentiment de nostalgie m'envahit. Mes affaires... ? Je n'en ai guère besoin. Je n'ai rien de personnel, ils m'ont déjà tout pris.

Le monde autour de moi commence à tanguer puis les ténèbres m'emportent, sans préambule aucun.

Je... m'évanouis. 

FugitiveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant