16. Attraction

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Chère Lyly,
J'en reviens toujours pas, ce matin je me suis réveillée dans un lit à baldaquins de velours rouge. Tout le cliché du palais ! Chaque jour le palais du gouverneur m'éblouit un peu plus. Tous ces diamants, toutes ces fenêtres démesurées, ces sols marbrés, ces plafonds plus hauts que les nuages et je pourrai continuer longtemps si je n'avais pas peur que la place vienne à manquer. Non pas que j'ai beaucoup de choses à raconter, mais plus parce que je ne sais pas quand j'aurai l'occasion d'acheter du papier.
Tu sais combien tout ce luxe me gêne, moi qui aime tant notre vieux QG un peu sale, et qui ai toujours vécu dans la rue... La rue me fait penser à lui... Non Lili, je ne m'en remettrai pas. Jamais. Comment pourrai-je ?
Il faut que je change de sujet : chaque fois que son nom s'écrit dans mon esprit, je suis sur le point de pleurer. Je te disais que je n'ai pas grand chose à raconter (si ce n'est mon immense peine).
Je m'ennuie Renard, si tu savais comme je m'ennuie ! C'était prévisible, je suis dans la phase d'observation de la mission, me faire des relations, comprendre le fonctionnement du gouvernement etc... Toutes ces tâches ennuyantes quand Glad et Tony se sont réservé l'action ! Pour remédier à cela, Aïden Aldawn m'emmène partout avec lui ! Il semblerait qu'à par le glaçon qui lui sert de frère il n'ai pas beaucoup de compagnie de son âge, je suis sa nouvelle meilleure amie ! Il déteste presque autant si ce n'est plus, tous ces personnages qui, parce qu'ils ont un nom, se croient supérieurs. Alors nous passons notre temps à ricaner dans les couloirs dorés et à traîner dans les réceptions et les bals. Maintenant que je suis l'amie du fils du gouverneur, toutes les portes me sont ouvertes, très pratique pour mener à bien ma mission.
Mais ce que je préfère, ce sont les repas. La famille du gouverneur invite les personnages les plus influents de la cour à leur repas, (j'y suis invitée grâce à mon statut de meilleure amie) ils se déroulent sur de longues tables blanches où les mets, les entremets et les desserts de bon goûts chahutent pour se faire de la place. Je suis installée à la droite d'Aïden. Et c'est là que ça devient intéressant : je suis en face d'Andrew Aldawn, son frère, et je passe le repas à faire semblant de ne pas remarquer les regards en coin qu'il me lance !
Pardonne moi d'être aussi futile, mais je sais combien ça fait du bien de l'être parfois, et je sais que tu le sais aussi !
Je t'aime. J'aime Dante, dis lui que si je ne lui écrits pas beaucoup c'est à cause de toutes ces choses sur le luxe et les repas dont il se fiche pas mal mais qui t'amuse. Je ne veux pas l'ennuyer !
À bientôt je l'espère, ta dévouée Haïs.
Désormais redevenue Naïs.
°°°°
Amely nous toise un à un. Fière, sans le cacher, du petit effet de surprise qu'à eu sa phrase. Nous sommes installés dans la salle du bas du QG, cette grande salle aux vieux murs sur lesquels gisent des squelettes d'affiches et des gribouillis à la craie. Jared, Mok et moi sommes assis sur la table de fer placée au centre des deux autres. Connor est adossé contre le grand tableau noir en face de nous. Amely est debout un peu devant lui, ses cheveux roux volent dans un courant d'air frais. Elle ouvre la bouche pour continuer et nous apporter, enfin, quelques explications mais soudain on toque à la porte. Les regards des Enragés convergent vers celle-ci. Personne n'entre mais des voix, deux, provenant de l'extérieur, se font entendre. Je reconnais l'une d'elles.
– Tu es sûr que c'est là ?
– Bah oui que c'est là !
– Entre alors si c'est là.
– Mais entre toi !
– Vas y en premier.
– T'es chiant.
La porte s'ouvre sur un garçon dont les traits me sont vaguement familiers. Léo Ly, l'officieux, rentre à son tour sous les yeux écarquillés des Enragés. Amely bafouille, interrompue violemment dans son effet de surprise. Elle se renfrogne hostile à la présence des Officieux, Iévna fait de même, adossée au fond de la pièce dans un coin d'ombre qui n'obscurcit pas sa chevelure blonde. Connor hésite entre la surprise et le mécontentement tandis que les frères, n'aimant apparemment pas Amely et ses airs supérieurs, semblent heureux voire reconnaissant de son désappointement. Lorsque Léo me voit il s'approche avec un sourire éclatant et me prends dans ses bras.
– Astryd ! Ça fait longtemps !
– Astryd ? m'interroge Connor.
Je comprends ce qu'il insinue et me défend :
– Non ! J'ai rien à voir là dedans, ce n'est pas moi qui les ai prévenus !
– En effet, fait Léo après une petite révérence, Astryd Aldawn n'y est pour rien.
– Alors comment, demande Connor.
– Votre tableau, explique Louis Ly, nous avons capté sa fréquence donc les Officieux sont au courant de toutes les réunions.
Amely lance un regard furieux à Connor comme si c'était son entière responsabilité. Celui-ci fait semblant de ne pas l'avoir remarqué mais il serre la mâchoire. Je le demande bien quel différent les oppose ainsi, ne devaient-ils pas être presque comme des frères et soeurs avec ma mère ? Pourtant aujourd'hui il semble qu'elle le considère comme le responsable de tous ses malheurs. On ne dirait pas qu'ils aient pu un jour être si proches, on dirait presque qu'ils se déteste. Est-ce que ma mère y est pour quelque chose ? Si leur dispute est assez ancienne j'en trouverai l'explication dans ses lettres.
– Vous ne pouvez pas vous inviter ici. Déclare fermement Amely.
– Le Grand nous envoie pour suivre vos missions, désormais nous assisterons à chaque réunion, à chaque mission ! rétorque Léo.
– Vous allez nous suivre comme des toutous alors ?
Volovent rigole et saute de la table pour aller taper dans la paume de Léo qui se met à rire lui aussi.
– Ouais c'est ça !
Ils semblent déjà bien s'entendre. Oh non... Déjà deux, ça faisait du bruit mais trois... Le QG risquait d'être plus bruyant que jamais !
– D'accord, mettez vous dans un coin de la pièce, je ne veux plus un bruit. Ordonne Connor qui essaye de maîtriser au mieux cette situation.
Les garçons s'exécutent à son plus grand soulagement.
– J'aime pas ça, grogne Iévna.
– Moi non plus.
Amely regarde Connor avec les sourcils plus froncés que jamais.
– C'est inadmissible Connor ! On ne peut pas se laisser espionner comme ça.
– Nous aurions du leur communiquer la fréquence tôt ou tard Renard.
– Tu sais que Royal sera furieux !
– Arrêtes de me parler de Royal ! Se dévoiler était son ordre ! Arrête de le prendre comme prétexte pour exprimer ta propre désapprobation.
– Je ne fais que dire la vérité ! Personne ne veut de deux Officieux qui nous collent aux basques !
– Ce n'est pas ton unité qu'ils intègrent donc tu n'as pas ton mot à dire et tu le sais !
– Alors tu ne veux plus de mon opinion Dante ?
– Ça te va bien de dire ça !
– Tu n'as pas le droit de me reprocher d'être partie.
– Ça suffit Amely !
Cette fois la belle rouquine se tait. Il semble qu'elle soit allée trop loin, Connor tremble d'énervement et souffle fort pour se calmer. J'avais donc raison, il y a un problème entre eux, un gros désaccord mais je ne sais pas à quel sujet. Léo est amusé et souffle à M :
– C'est toujours comme ça ici ?
– Seulement quand elle est là.
Et le garçon aux cheveux mi-longs d'habitude si souriant lance un regard venimeux à celle qui fut la meilleur amie de ma mère. Au bout de quelques minutes Connor est calmé et Amely peut enfin continuer.
– J'ai donc, comme je le disais avant la tempête, des nouvelles par rapport aux communications qui traversent la porte de Jime.
Tout le monde est à l'affût de ses prochains mots.
– Nous avons réussi à récupérer un extrait de conversation.
Je laisse échapper un petit cri ce qui m'attire des sourires moqueurs.
– Malheureusement, les interlocuteurs s'expriment dans une ancienne langue terrienne. Il va nous falloir plusieurs semaines avant de pouvoir comprendre ce qu'ils se disent.
Louis Ly intervient :
– À la Grande Maison nous avons de très bons traducteurs, ce sera certainement plus rapide si vous nous confiez l'extrait.
– C'est hors de question ! Vous donner les informations sans être sûre que vous nous les rendiez complètes ? Vous me prenez pour qui ?
Je ne pouvais m'empêcher d'être d'accord avec elle sur ce point. Ce serait bien trop facile de nous rendre une traduction fausse et de garder les véritables informations pour eux. Louis était visiblement déçu mais n'insista pas, sentant bien à quel point la jeune femme était déjà en colère.
Je commençais à me poser une question et, une fois que tout le monde s'était mis à parler chacun dans leur coin, je pris Connor à part :
– Est-ce que j'aurai bientôt une nouvelle mission ?
– À une époque, cette unité était une des plus importante et des plus influente. Ce n'est plus le cas, nous avons beaucoup moins de travail. De toute façon si j'avais une mission à confier je me tournerait sans doute vers Ivy ou les garçons car, j'en suis désolé, mais tu es trop liée à la Grande Maison maintenant.
– Mais nous travaillons avec maintenant ! Et puis je pense pouvoir être discrète...
–Ce n'est plus qu'une question de discrétion : la Grande Maison a désormais des moyens techniques plus développés, ils sont plus au point dans l'information. La preuve : les Officieux connaissaient déjà notre existence ! De plus nous travaillons avec le Grand et pas avec la Grande Maison. N'oublie jamais l'énorme différence que ça fait.
Je fis un signe d'approbation mais je n'étais pas sûre d'avoir compris ce qu'il voulait dire par là.
– Au fait ! Dante c'est ton surnom ? Je croyais que c'était Con'.
– Tu ne t'es pas dis que Con' et Connor c'était un peu trop facile ? Les surnoms sont des protections supplémentaires, afin qu'il soit plus difficile de savoir qui est qui. Con' c'est juste le diminutif que me donnent les garçons. Dante c'est mon surnom depuis que je suis un Enragé. C'était le nom de mon grand-père maternel, c'est lui qui m'a élevé.
– Ça paraît beaucoup plus logique effectivement.
Et je pensais aux lettres de ma mère, je m'étais doutée que Dante était Connor mais j'en avais désormais la certitude.
Amely pris Connor par le bras, interrompant donc notre échange et je les laissait discuter plus loin tandis que je rejoignait les quatres garçons, Iévna étant partie depuis quelques minutes.
Nous sortîmes dans la rue mais discutions un peu avant de se séparer.
Léo me demanda :
– Ton frère là, il est fâché ? Je veux dire, pour l'autre jour.
– Il l'a été mais c'est bon, il n'a pas pour habitude d'être rancunier.
– En tout cas il est succeptible, je ne faisait rien de mal !
Succeptible ne correspondait vraiment pas à Astley, pourtant il était effectivement allé un peu loin pour quelque chose de si peu important. Je ne voulais vraiment pas y penser, j'étais encore trop choquée par le fait qu'il ai pu être jaloux. Je changeais donc de sujet en m'adressant à Volovent.
– Comment ça Hailey ?
– La loba est en mission, même Nath n'a pas de nouvelles.
– J'espère qu'elle va bien.
– Tant qu'elle est avec elle-même, cette fille est bien.
On sentait une forme de fascination dans le ton de mon ami aux yeux violets et cela me fit sourire. Hailey était effectivement une fille fascinante et Ethan était quelqu'un de vraiment sympa.
Ces derniers mois j'avais fait un bon nombre de rencontres extraordinaires. C'était un peu comme si ma vie avait commencé et s'était arrêtée au même moment. Au moment de ma nomination. J'avais perdu toute perspective d'avenir mais j'avais rencontré des gens et accompli des choses dont jamais je ne me serait douté des mois auparavant. Les garçons riaient, ils s'entendait bien et quelque part ça me plaisait, je ne voyais pas vraiment de menace en les deux Officieux. Les yeux verts de Louis brillaient et j'étais sûre de les avoir déjà croisés avant.
– Louis, est-ce qu'on c'est déjà rencontrés ?
– Oh tu t'en souviens ? Je ne suis pas toujours un Officieux, je travaille aussi dans la garde de la Grande Maison.
Au début je ne compris pas. Puis le souvenir de mon premier rendez-vous avec le Grand me revint, un garde m'avait fait un clin d'œil ce jour là.
– C'était toi ?
Il rit devant ma mine abasourdie.
– En tout cas, tu es aussi magnifique que me l'avais dit Léo, fit-il.
Et son idiot de frère me fit un grand sourire éloquent. Mok m'entoura les épaules d'un geste protecteur exagéré.
– Ah non ! Là on va pas être copains, c'est notre Astryd !
Jared fit signe qu'il était d'accord en hochant violemment la tête.
Je rougis bien malgré moi et les quatres se mirent à rire de ma gène. Leurs rires éclatèrent dans les rues alentours.
°°°°
Je suis rentrée à la maison. Ariel gambadait autour de moi. Elle grandissait si vite malgré notre espérance de vie éternelle que j'en devenait nostalgique. Ses petits cheveux bruns caressaient ses oreilles et ses grands yeux ambrés me fixaient avec amour. Une si petite chose. Bientôt elle saurait parler. Et un peu plus tard elle saurait comprendre. Elle comprendrait toutes ces choses qui angoissent sa grande soeur. Ou plutôt qui angoissaient. Car je ne pense pas pouvoir le voir. L'Immense m'aura emporté sans que j'ai vu ma petite soeur grandir. Cette idée fendillait mon coeur en millions d'éclats. Il me semblait imperatif d'être là pour elle, je devais la protéger, lui apprendre la vie... Et cela me serait maintenant impossible.
Je n'avais toujours eu que ma famille. Je m'étais fait des amis mais c'était une grande nouveauté pour moi. Je n'en avait jamais eu avant. Ma vie c'était ma famille. Puis elle s'était disloquée. Et j'avais suivi. La pire période de ma vie. Voilà que maintenant j'allais perdre ce qui me restait de famille.

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