A la tombée de la nuit

Chapitre 13: Pauline

-Je t'en prie, clama Ariane d'une voix plaintive, dis-moi que tu la prends. Elle te va à ravir.

Tournoyant une nouvelle fois sur elle-même, Kaythleen admira le reflet que lui renvoyait le miroir. La chose qui allait à ravir, selon Ariane n'était en faite qu'une modeste robe bleu nuit fendue jusqu'à la cuisse dévoilant la peau nacrée de sa jambe.

Depuis que son amie avait vu l'affiche affichée en grand au réfectoire, Ariane ne parlait plus que de ça. Comme si le mot "bal" avait été greffé sur sa bouche.

-Vraiment, non. Elle est un peu trop... voyante, dis Kaythleen.

-Arrête, retorqua Jade qui sortit d'une cabine d'essayage une robe rose moulant ses formes. Cette robe te va à merveille. Je suis quasiment sûre qu'elle va plaire à Zeke.

Rougissant, la jeune fille baissa son visage de peur que ses amies ne remarquent sa brusque gêne à la mention du nom du jeune homme. A vrai dire, c'était plutôt sa faute à lui. Ou qu'elle aille, Zeke la suivait. Il était aux petits soins avec elle.

Pourtant ce n'était pas à Zeke qu'elle pensait mais Derek. Celui qui lui était insaisissable. Au moins lui, n'avait manifesté aucune inquiétude, ce qu'elle trouvait plutôt charmant en fin de compte, une fois les premiers doutes passés. 

-Je la prends, dit-elle en réintégrant la cabine d'essayeage pour en ressortir la robe à la main. 

Ariane et Jade gloussaient gaiement en tournoyant devant le miroir. Se trémoussant, elle riait aux éclats. En les contemplant, Kaythleen eut un pincement au cœur. Malgré ses nouvelles trouvailles, elle avait toujours du mal à s'intégrer. Le monde des amis lui était encore étranger, préférant la solitude, elle avait tendance à s'exiler. 

Ne jetant aucun regard en arrière, elle partit en direction de la caisse, son élégante robe serrée fermement contre sa poitrine.  Elle sentait presque les larmes mouiller ses yeux. Confiant la robe à la caissière, elle s'empressa de payer, lorsque son regard erra sur une pile de journaux.

"Meurtres suspects à Portland." Lut-elle en capitale d'imprimerie marquée sur le papier froissée du shop.

Et là son cœur s'arrêta, son rythme respiratoire s'accéléra pour rien hâler. Ses doigts se crispèrent sur le journal. Le sang fluide, s'était tarifié dans ses veines. 

-Ca vous f'ra soixante dollars, déclara la vendeuse d'une voix neutre.

Kaythleen ne l'entendit pas de cette oreille. Sur la Une figurait une modeste photo privée de couleur. Membres déchiquetés dévoilant boyaux et tripes, chair mutilée, traces de griffures et autres horreurs encore dessinés sur son pauvre corps, la jeune femme regardait fixement la jeune fille d'un regard vide.  Pourtant cette fille n'était pas une inconnue pour Kaythleen.

Elle se souvenait de son rire cristallin, de son rapprochement avec cette dernière et de sa langue de vipère qu'aucune personne n'osait braver sauf elle. Elle se remémorait de ses premières verres d'alcool, ses premiers discussions concernant la race autre que les femmes partageant leur monde et leur mode de vie.

Kaythleen se souvenait de son regard pétillant de vie et maintenant dénudée d'expression, vide, sans qu'aucune vie ne l'éveille.

Pauline.

Pauline riant se taisant à jamais. Enfermée dans le silence pour l'éternité.

-Ca vous fera soixante dollars, répéta la caissière.

-Que savez-vous de ce meurtre? Demanda Kaythleen brandissant le journal sous son nez.

-Seulement ce que les autres savent, pas plus, pas moins.