Chapitre 6:Tentation

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Déjà une semaine que Kaythleen suivait les cours à NightFall. Jamais, elle ne s'était sentie aussi bien. Aussi à sa place, sans qu'elle ne fasse tâche, sans qu'elle les gens s'arrêtent pour la dévisager comme une bête curieuse. Kaythleen faisait partie du décor. Elle était chez elle, ici à NightFall. Et comme personne ne la connaissait avant son amnésie, personne n'en parlait. Elle n'y pensait donc jamais.

Assise à son bureau, elle tentait de se concentrer sur sa dissertation de littérature. Pourtant, la tâche était beaucoup plus difficile qu'elle n'en avait l'air. Se massant les tempes, comme elle en avait l'habitude, elle tentait d'appeler toute sa volonté. En vain, elle refusait de se plier à ses ordres et à ses bons commandements. Mais comment lui en vouloir? Chaque jour, elle tentait de se rappeler son ancienne vie, de remuer toutes les pièces du puzzle qui étaient peu nombreuses.

Sous une impulsion, elle referma ses cahiers, sortit de sa chambre et s'enfonça dans les longs et sombres corridors de son nouveau lycée. Kaythleen avait enfin appris à se repérer dans ces nombreux dédales. Elle pénétra d'un pas assuré dans la bibliothèque qui comme à son habitude était déserte. Non qu'elle était venue souvent. Au contraire, elle l'évitait. Cette pièce renfermait des secrets qu'elle n'était pas en mesure de découvrir et de supporter en l'heure. C'était Ariane qui lui avait dit que cette salle avait bien du mal à se faire accepter de la plupart des lycéens.

Christina parlait d'un fantôme hantant la bibliothèque à la recherche de son criminel tandis qu'Ezekiel affirmait sans cesse qu'elle avait souvent renfermé des scènes torrides. Dans le genre : dépecement d'organes internes et toutes autres cochonneries. Pour sa part, Kaythleen n'y croyait pas. A aucunes de ses explications. Pourtant, elle ne pouvait leur donner tort. Une ambiance lugubre et l'odeur nauséabonde la répugnait, mais au moins était-elle sûre d'y trouver un peu d'animation. Du moins, le côté sombre et glauque des étagères qui enveloppait la lumière, l'attirait comme un aimant. Et attendant une bonne excuse pour s'y retrouver seule, sans invités indésirables telle qu'Ariane, elle avait patiemment attendu que tous ait quelque chose d'autre à faire.

S'asseyant à une fauteuil en cuir, qui grinça sous son poids, elle ouvrit ses manuels, étendant les feuilles sur les tables voisines. Replongeant dans ses livres, ses cahiers et ses travaux personnels, la jeune fille tentait de résister à la tentation qu'exerçait le livre sur elle. Il l'appelait constamment.

Elle soupira longuement. A mesure, qu'elle écrivait ses pensées contre le racisme sur le papier, son esprit plongea enfin dans ses devoirs.

C'est à ce moment là, qu'il  apparut. Ses yeux d'émeraude étincelant comme le ciel après une tempête. Aussi vif que les écailles d'un serpent. 


Alors, il la vit. Aussi belle que dans ses souvenirs. Encore plus belle encore. Si c'était possible. Ses yeux bleus saphirs furetant dans les siens d'émeraude. Deux joyaux. Enfin, il la voyait. Il l'avait pour lui seul. Elle était assise là, au centre de ses piles de feuilles, ses magnifiques cheveux cascadant sur son dos. Elle releva sa tête, lui offrant la beauté de son visage, la force et le désir de découvrir la vérité  brillaient dans ses yeux.

Longeant la muraille de livre, qui la séparait d'elle, le jeune homme se dissimulait. Ses yeux furetant furieusement sur les rangés. Il savait qu'elle serait ici. Kaythleen avait toujours eu cet attachement débile pour les bibliothèques. Appuyant sa tête contre le chambranle des pans de la géante pièce de bois, il ferma les yeux, espérant pouvoir l'oublier, alors qu'elle était si proche de lui.


Pourquoi se dissimule-t-il? Songea Kaythleen. A-t-il peur de moi? 

Lorsqu'elle prit conscience de ses pensées, elle les regretta aussitôt. Immédiatement.

Ses poumons explosèrent dans sa poitrine. Mais pourquoi lui faisait-il autant d'effet? Le livre vert.

Vert émeraude. Songea-t-elle une nouvelle fois. Le lien avec sa vie d'antan était présent, il ne lui suffisait que d'un seul geste. Mais... Il y avait toujours ce mais. Toujours le même mais qui l'empêchait d'avancer. S'efforçant de contrôler son cœur qui battait des castagnettes, ses yeux effleurèrent à nouveau la couverture de son manuel d'anglais.

Roméo et Juliet. Encore ces stupides histoires d'amour qui ne rimait à rien. Kaythleen avait toujours détesté ces couples et ces romans à l'eau de rose. Tant de mort, tant de tristesse et de désolation pour si peu.

Réprimant un grognement de frustration, bloquant avec forces, ses pensées concernant le jeune homme aux étonnants yeux verts, son esprit replongea dans sa dissertation. Il se présenterait à elle lorsqu'il en aurait assez de se cacher à ses yeux.


-La tragédie, murmura une voix au-dessus de la tête de la jeune fille. Réponse à la question c. La tragédie.  

Relevant prudemment la tête, elle entra en contact avec la braise de ses yeux.

-Je connais la réponse, répondit-elle du tac au tac sentant plus l'appréhension lui tordre l'estomac que la colère.

-Alors pourquoi cherches-tu à m'éviter? Risqua-t-elle après une longue hésitation.  

Il s'assit sur une des chaises à côté de Kaythleen. La jeune fille réprima de justesse un rire, qui serait déplacé dans de telles circonstances. Secouant sa tête, faisant voler ses cheveux, elle griffonna une vague réponse. La tragédie.

-Qui te dit que je cherche à t'éviter? Murmura-t-il d'une voix grave.

-Mon instinct qui se méfie particulièrement des hommes aux yeux verts.

-Charmant, je pense bien m'entendre avec lui, mumrura-t-il.

-Trop sympa.

Nouveau silence. Tant est si bien qu'il fut presque palpable.

-Kaythleen.

Soudain, elle se sentit sa présence dans tout son être. A côté d'elle. Autour d'elle. Et dans sa tête.

-Comment connais-tu mon nom alors que je ne te l'ai jamais donné?

-Et qui te dis ça?

-Cesse de jouer avec moi.

-Qui te dis que je joue avec toi?

Etendant ses paumes à plat sur la table, elle attaqua ses yeux qu'elle n'eut aucun mal à soutenir, à sa surprise. Rassemblant le peu de dignité qui lui restait, elle contra sa pique.

-Si tu n'as rien de mieux à faire que de m'enquiquiner, tu peux t'en aller. Je ne t'ai jamais demandé de faire du baby-sitting. Alors si tu voulais bien....

D'un revers de main, elle désigna la porte à peine entrouverte.

-Je me sens bien ici. Je ne vois pas pourquoi je devrais partir.

-Sors d'ici avant que j'explose.

-Non.

En croyant avoir mal entendu, Kaythleen prit une inspiration.

-Je te demande pardon?

A ces mots, le jeune homme se leva avec de gracieux gestes.

Sa main effleura les doigts de la jeune fille.

Stop.

Pause.

Sa peau sembla se réchauffer immédiatement comme après avoir été congelée par des glaçons. Des milliers de souvenirs semblèrent fuser dans sa mémoire mais elle ne parvint pas à les voir. Sauf un.

Un homme dans l'ombre la suivait, couteau à la main, prenant soin de se dissimuler parmi les ombres des bâtiments. Il la surveillait. Pressant le pommeau du couteau contre ses paumes, il s'avança. Voulant faire de cette fille sa proie. Une vie dangereuse en moins sur cette terre pour sauver des innocents.

Lorsqu'elle ouvrit à nouveau ses yeux, Kaythleen se retrouva à nouveau à la bibliothèque, les paumes toujours à plat sur la table et l'homme devant la chambranle de la porte à la fixer, le sourire aux lèvres.

Mais que sait-il réellement? Se demanda Kaythleen.

-Au fait, moi, c'est Derek.

Et il disparut.

A la tombée de la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant