Défouloir

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Elle était perchée en haut de l'un des plus grands immeubles de la ville, alors qu'il était déjà tard. La nuit était tombée, les lumières de la ville broyaient celle de la lune que l'on ne voyait plus, cachée derrière un épais nuage de pollution citadine.


Les voitures semblaient minuscules de la haut, de petites ombres maladroites qui voguaient dans un dédale de rues immenses et sans fin. La jeune fille ne pouvait même pas distinguer les piétons fatigués de leurs dures journées de labeurs. 


Il faisait très froid, le haut. Un vent glacial et violent frappait son visage diaphane, et ses cheveux lui brouillaient la vue tant les bourrasques les assaillaient.


Elle avait une vieille clope à la main, une qu'elle avait débusquée dans un paquet qu'elle avait dû acheter quelques mois auparavant. Elle ne fumait pas, jamais, elle n'avait pas encore essayé d'ailleurs, mais elle en avait besoin ce soir là. La cigarette se consumait dans ses doigts, et la fumée ne lui brûlait pas la gorge, comme si cela était une habitude quotidienne. 


Elle fermait les yeux, par moment, oubliait un peu ce monde d'abrutis naïfs qui ne croyaient qu'aux contes et aux conneries que même des inconnus pourraient leurs faire bouffer. Elle se disait que c'était peut être possible de changer cette société stupide, mais elle se rabrouait en se rappelant qu'elle-même en était membre, et qu'elle ne pouvait lutter contre sa propre appartenance à celle-ci.


Elle avait envie de sauter, de plonger tête la premier hors de cette prison sociétaire qui empêchait la libre expression, que l'on voulait pourtant conserver coûte que coûte, et détruisait l'amour propre. Ça faisait longtemps qu'elle ne pensait plus comme tout le monde, et qu'elle gardait tout cela pour elle-même, parce que l'avouer l'aurait mené à l'abattoir. 


Et puis, en quoi est ce qu'elle pensait différemment ? Elle ne le savait pas, et pourtant elle en avait conscience. Peut être que c'était parce qu'elle ne croyait pas aux même bêtises que les autres, mais elle était sûrement dupe à d'autres sottises qu'on imposait à sa jeune vie d'adolescente. 


La jeune fille cessa de penser, et jeta sa clope du haut du toit, tout en espérant naïvement que cette simple cigarette changera la face du monde en s'écrasant sur le bitume gelé.

ProsodieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant