Le réveil des Sang-dragons

Chapitre 16 : Le Village.

Au bout d'une bonne heure de progression fastidieuse, les premiers signes d'activité humaine apparaissent : des chaumières d'où s'échappe de la fumée remplacent les arbres. Cependant, le ciel est voilé, comme si un filtre était disposé au-dessus, donnant au contraste des teintes orange sombre.

- Reste dans les bois, dis-je à Bylhild en m'avançant vers le centre du Village.

Des gens sont présents. Ils ont l'air physiquement en forme. Toutefois, ils avancent l'air hagard et absent, déambulant de façon peu cohérente entre les maisons.

- Vous êtes nouveau ? me lance une voix grave dans mon dos.

Je me retourne lentement et me retrouve face à un homme d'âge mûr, une épaisse barbe lui mangeant le visage. Il est plutôt ventripotent et porte des habits de la fin du 19° siècle.

- Je suis Absyesoul, poursuit-il, le chef du village. Il ne me semble pas avoir été averti de votre arrivée.

Mon visage interrogatif semble le pousser à poursuivre son soliloque.

- Vous devez être un sang-dragon qui a par mégarde croisé la route de Ruto.

Voici donc son nom, Ruto. L'Esprit tant honni acquiert maintenant une identité, une réalité. Ce nom me dit quelque chose. Mais je n'ai pas le temps de chercher plus avant dans mes souvenirs, l'homme me regarde comme s'il attendait quelque chose de ma part. Je lui demande alors :

- Vous qui semblez comprendre, pouvez-vous me dire ce que je dois faire ? Je suis un peu perdu. La sorcellerie déployée pour m'envoyer ici est très forte et très pernicieuse.

En prononçant le mot sorcellerie, j'ai mis un ton de haine.

- Et bien soit, pour commencer, nous allons vous installer. Les choses deviendront plus claires après. Allez donc dans cette maison là-bas et dites que c'est moi qui vous envoie.

Ce disant, il m'indique une petite bâtisse couverte de chaux à la périphérie du village.

- Vous allez partager la demeure avec quelqu'un qui va beaucoup vous plaire.

Il a un sourire sadique sur les lèvres. D'un pas hésitant, je me dirige vers la maison. Mon sens olfactif m'apprend que je connais la personne habitant cette demeure. Absyesoul est tombé dans le piège simple que je lui ai tendu. Il croit que je n'aime pas les sorcières et m'envoie dans la maison habitée par l'une d'elles : Debbie. Un air satisfait discret s'étend sur mon visage. A l'orée du bois, la forme sombre de Bylhild me suit des yeux.

En m'approchant de la porte, je jette un œil autour de moi. Personne ne me prête attention. Absyesoul se dirige vers une tour à l'autre extrémité du village. Ce bâtiment m'était caché jusqu'à présent. C'est l'archétype de la tour sombre d'un magicien. Je cogne à la porte de la chaumière qui m'a été attribuée.

- Qui est là ? demande une voix chevrotante et rauque.

- On m'a dit que je devais partager cette maison, dis-je.

La porte s'entrouvre alors. Je rentre. Mes premières impressions sont une forte odeur de renfermé et des bruits étouffés par un très épais tapis à terre. La porte se referme vite derrière moi. Je me retourne pour regarder celle qui l'a fermée. Je reconnais à peine Debbie. Elle a les cheveux en bataille et des vêtements dans un style ancien en loques. Son visage est émacié et ses yeux sont injectés de sang, comme si elle n'avait pas dormi depuis des jours.

- Je te reconnais, dit-elle lentement. Mais est-ce toi ou bien est-ce une copie de toi venue me faire manger et dormir ?

- Debbie, qu'est-ce que tu racontes ?