Chapitre 29 : Retour.

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Je reprends le chemin à travers les arbres. Je repère là où je veux aller, je trouve un chemin entre les mondes. Je tourne à gauche sur un autre sentier et je me retrouve au milieu d'un amphithéâtre antique. Dans le ciel, des petits nuages moutonneux, typiques du Berry.

Un homme, vêtu d'une toge s'approche de moi.

- Nous ne vous attendions pas de si tôt ou pas aussi tard, me dit-il en archéolatin.

Ses paroles sont fluides et simple. Elles sont emplies de chaleur et de bienveillance.

- J'ai et j'ai eu quelques soucis. Ces soucis peuvent nous être profitables à tous.

- Alors allons retrouver notre communauté, nous pourrons échanger, deviser et trouver des solutions.

- Je préfèrerais que les autres membres ne me voient pas. Certains ignorent complètement qui je suis, et ce que je suis. Je ne veux pas que ma nature influence ce lieu, influence les relations qui commencent à peine à se créer.

- Tu es bien prévenant, Dragon.

- Comme toi, je veille sur ma communauté, Dieu.

Il sourit, peu habitué à ce que ce statut qu'il portait dans les temps romains soit aussi simplement énoncé.

- Raconte moi les soucis que tu as eu. Ensuite, tu me diras les soucis que tu as encore.

Je commence mon récit alors que nous nous dirigeons vers le Musée d'Argentomagus, à quelques pas de là. Il m'écoute patiemment. Je raconte dans les grandes lignes mes interventions contre les Adraconniques. Je lui explique ce que je compte faire avec Gwenn.

- Un éveil sauvage en quelque sorte, me dit-il.

- Oui et non. Un éveil en dehors de la Confrérie, mais un éveil selon les anciens rites, sans normes, un rite différent à chaque éveil.

- Oui, je comprends. Mais ce qui m'intrigue, c'est la porte que tu vas ouvrir lorsque sa conscience s'ouvrira pleinement. Je suis inquiet mais aussi excité, impatient. Tu vas nous aider, nous tous, reliquats des anciennes croyances. En ouvrant ce passage, ce n'est pas que le petit peuple en tant que tel que tu vas aider, mais tous ceux qui portent en eux une goutte de ce que les Adraconniques appellent « sang dragon ». Mais que se passe-t-il si cet éveil ne fonctionne pas ? Le moindre grain de sable peut faire basculer tout ce processus vers une catastrophe.

- Je ne peux pas te demander de cautionner ou de soutenir ...

- Cet information est primordiale, me coupe-t-il, pour notre survie. Dragon, comprends-le. Et bien sûr que je vais cautionner et te soutenir.

Je souris, je n'en espérais pas tant. Je poursuis.

- Je viens surtout te voir parce que j'ai besoin d'un lien. J'ai besoin de canaliser une énergie, de la purifier. Je sais qu'ici, vous pourrez le faire. Mais vous allez devoir, je pense, la partager une fois purifiée.

- Explique, me dit-il.

- De l'eau va couler entre les mondes, venant d'une Cathédrale, de l'eau à purifier. Votre fontaine va l'attirer.

Un sourire s'étire sur les lèvres de mon interlocuteur.

- De l'eau d'une Cathédrale. Voilà qui est intéressant. Je suppose que ce n'est pas qu'un simple détournement que ce que tu t'apprêtes à faire.

- Non, ce n'est pas qu'un simple détournement. C'est une sorte d'aspiration. Un réseau va s'y déverser aussi préparez-vous. La fontaine devrait pouvoir purifier ce flot. Mais vous tous qui vivez ici, certes vous pourrez vous y ressourcer.

Nous arrivons à la fontaine. Nous sommes seuls.

Il tend la main dans l'eau et l'approche de moi.

- Non, fais-je, je dois me ressourcer ailleurs. Je suis presque vidé, mais j'ai besoin de me remplir complètement.

- Je ne comprends pas, pourquoi ne pas te ressourcer complètement ici ?

- Parce que je viderai ce lieu que moi-même, je ne serai pas rempli.

Il me regarde avec étonnement.

- J'ai grandi depuis la dernière fois.

Il me tend un gâteau au miel avec un verre de vin. Je me restaure tranquillement, assis au frais, près de l'eau.

- Ma compagne a emmené les habitants ailleurs, le temps que tu te reposes auprès de cette fontaine. Car je suppose que tu vas vouloir faire quelques petites manipulations.

- Oui, tout à fait. Quelques petites manipulations.

Je descends dans l'eau et remonte le cours, dans ce couloir où s'était trouvé l'image de Thanophéros. Des mots sont gravés dans la pierre. Je complète les phrases, du bout du doigt. J'achève les paroles rituelles. Mais surtout, j'oriente les mots pour attirer une énergie d'ailleurs. Pour lancer les première bases d'un pont vers la Cathédrale de Chartres. Un pont symbolique, un pont parlant d'éveil de la conscience. Je reporte les sept symboles, sept étapes. D'abord Mercure, puis Vénus, je poursuis par Mars et continue avec Jupiter, viennent ensuite la Lune et le Soleil, et pour finir, le Père, Saturne.

Lorsque je ressors, j'ai les traits tirés. Le Dieu en face de moi me regarde.

- Que veux-tu de nous. Ce cadeau ne peut être gratuit, dragon.

- Pourquoi pas ? Votre existence est liée à la mienne. Ce sont les mêmes énergies qui nous animent, qui nous font vivre.

- Ne sois pas stupide, tant d'eau purifiée pour nous, ce sera trop. C'est un gros cadeau.

- Trop ? Dieu, ne comptes-tu pas donner ce que vous ne pourrez consommer ? Ne comptes tu pas répandre à d'autres, relayer ce flux ?

Il me regarde un peu étonné.

- Tu nous demandes de partager ?

- Oui.

- Pourquoi le ferons-nous, pour qui ? Notre communauté se suffit, nul autre ne pourrait nous intéresser. Nous sommes tous là, descendants des mythes de la Rome antique. Pourquoi voudrions-nous que d'autres cultures, que d'autres peuples puissent en profiter ?

De la déception transparaît dans mon regard alors qu'il égrène ces mots.

- Dragon, explique-moi pourquoi tu nous demandes ce sacrifice.

- C'est le partage qui fait la force. Si tu ne cherches pas à offrir ce que tu as à d'autres, les autres ne viendrons pas te proposer ce qu'ils ont.

- Cela s'appelle le commerce.

- Non, tu ne comprends pas. Il est des choses, des dons, des actions, qui n'ont de force que si elles sont désintéressées. Ce sont ces choses qui font la grandeur d'une âme, la grandeur d'un peuple. Ce sont ces choses qui nous font progresser, qui nous ouvrent l'esprit. Ce sont ces petites choses qui font les alliés.

- Je sens que c'est quelque chose d'important pour toi, alors nous le ferons. Mais nous le ferons parce que tu le souhaites et que cette énergie aqueuse est aussi la tienne.

J'ai obtenu ce que je voulais, certes pas dans les conditions que j'aurais souhaitées, mais je l'ai obtenu. Je lui dis au revoir et m'en vais.


Le réveil des Sang-dragonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant