Dernière valse.

Chapitre 1 : le passé ne redeviendra pas présent.

   Dans la vie, il n'y a pas de retour en arrière; nos actions sont comme inscrites dans l'histoire, des plus minimes aux plus grandes. Ca doit sûrement être mieux comme ça, après réflexion, nous ne savons pas ce que nous risquons à remonter dans le temps comme bon nous semble. Sur le coup, on aimerait bien claquer des doigts pour revenir en arrière, mais ce serait capricieux, incessant.

   Je ne disais pas ça parce que j'avais renversé du lait sur ma robe préférée le jour de la rentrée, que j'avais bafouillé en parlant au garçon dont j'étais amoureuse depuis trois mois ou encore que mon réveil n'avait pas sonné et que j'étais encore en retard.

   Non pas que j'étais extrêmement soigneuse, mais j'arrivais à m'en sortir sans dommages lorsque je buvais, je vérifiais tout les jours que j'avais mis mon réveil et je n'étais pas amoureuse.

   Je n'avais pas loupé mon bus, je n'étais pas en retard, je n'avais pas eu de contrôles, de colle, non, rien de tout ça, et dit comme ça on pouvait penser que j'étais la bonne fifille à sa maman, bien coiffée, avec sa petite robe bleu marine à col bateau et ses ballerines vernies, et c'est vrai que cette image se rapprochait de la vérité. En tout cas, plus que celle de l'image de la délinquante aux cheveux rasés, multicolores, qui paradait une clope à la main, une bouteille de vodka dans l'autre.

   J'aurais bien aimé être comme ce genre de filles, juste une journée, pour voir ce que ça faisait d'enfin s'opposer. Malheureusement, j'étais une fille qui se laissait dicter par la peur.

   Toujours était-il qu'enfermée dans les toilettes, le souffle court, l'oreille collée contre la porte, j'aurais bien aimé remonter le temps, jusqu'à une heure auparavant, et ne pas aller à la danse, rester cloîtrée chez moi à regarder une série avec mes chips.

   C'était toujours mieux que de s'en prendre plein la gueule, pour quoi au juste ? Eh bien j'ai l'honneur de vous répondre : pour rien. Se faire insulter dans le dos par méchanceté pure. Cela ne m'étonnait pas plus que ça de Mathilda Angelin, mais entendre tout haut ce que tous pouvaient penser tout bas, c'était dur à encaisser.

   Je lissais mon tee-shirt, ample, il était vrai. Ample pour camoufler mes formes, parce que nous n'avions pas la chance d'être modelées comme mademoiselle Angelin, bien proportionnées. Oui, je mangeais sûrement trop, et jusqu'alors, je n'avais jamais trouvé ça mal de se refuser une part de gâteau quand on en avait envie. Je savais qu'il fallait faire attention, manger quelques choses, mais une part de gâteau se refusait rarement quand l'occasion se présentait.

   Inspirais, expirais, rassemblais mes affaires, inspirais, expirais, luttais pour ne pas pleurer, ouvris la porte des toilettes.

   Grand silence d'un seul coup, ce qui ne fit que confirmer ce que j'avais entendu : la Raphaëlle qui allait devenir obèse si je prenais deux kilos de plus, c'était bien moi. Mes prétendues amies ne disaient rien, ôtant des peluches qu'elles seules pouvaient voir de leurs pulls et leurs robes moulants, s'échangeaient des sourires gênés.

   Seule Mathilda affrontait mon regard, et je l'aurais presque remerciée de ne pas avoir été lâche. Si il n'y avait eu que ses yeux violets pour me fixer, j'aurais pu lutter encore, affronter les larmes qui me montaient aux yeux. Seulement, sa bouche suivit, son rictus moqueur se déforma et elle se mit à parler.

   J'étais seule, Violette, ma meilleure amie, avait sûrement déserté la salle avant que je ne me fasse critiquer, c'était son genre de partir sans m'attendre pour ne pas rater son bus, on s'y faisait avec le temps.

   « Oh, salut Raphaëlle, ça va ? me demanda-t-elle avec un sourire. »

   Au lieu de faire craquer mes poings et de me ruer sur elle, de fondre en larmes ou de lui lancer une réplique à hurler de rire, je baissais les yeux et m'enfermais dans le mutisme.