MON père s'était mis en tête d'essayer les recettes du bouquin de cuisine offert par Tony à son anniversaire, il y a huit mois de cela.
« Il n'est jamais trop tard, répétait-il en hachant les fines herbes. »
Je le regardais faire avec un faux sourire scotché sur le visage, puis dès qu'il tournait le dos pour revenir à sa préparation, je posais les yeux sur les recettes et je lisais, calculais.
Combien de calories, juste pour un tout petit plat de rien du tout ? Les avocats, les pizzas, la viande, les pomme de terre au beurre, tout ces aliments que j'avais un par un rayé de ma liste, suite à mes recherches sur Internet.
Il était écrit qu'on pouvait se permettre des sucreries, des écarts, de temps en temps, mais ça ne collait pas avec moi. Je devais maigrir, point.
Je prenais des notes sur le bloc note de la liste de course, quand il avait le dos tourné, calculait ce que je pouvais manger, la quantité, j'avais peur de chaque calorie en trop, celle dont je n'aurais pas besoin.
Moi qui n'avais jamais tant aimé les maths, j'avais l'impression qu'on m'avait greffé une calculatrice dans le cerveau, et que c'était impossible de m'en défaire. Arrêter de calculer les calories, c'était au delà de mes forces; aviez vous déjà demandé à un amoureux transi d'arrêter d'aimer ?
Vous pourrez toujours essayer, rien n'y fera.
Je n'allais pas dire que j'étais amoureuse des chiffres, juste que je n'arrivais pas à faire autrement. Calculer, compter, soustraire, toute la journée, c'était ainsi.
Je me nourrissais aux pommes et au fromage blanc, j'avais l'habitude de sentir la faim tonner dans le creux de mon estomac, mais je ne cédais pas. Je mangeais. Je ne mangerais pas plus. Ce n'était pas de la faim, mais de la gourmandise.
De toute manière, j'étais grosse. Je ne devais pas céder, et cela, ma conscience se chargeait de me le rappeler.
Je rentrais mon ventre tout les jours devant le miroir de la salle de bain, en quête d'un quelconque changement, je me pesais tout les jours, mais ce n'était pas assez, je devais toujours perdre, chaque kilo de perdu était un soulagement à mes yeux.
Je ne me battais pas pour rien.
Non, au contraire, je me battais pour devenir enfin heureuse.
Joséphine m'avait gentiment accusée, disant qu'on ne se parlait plus, que je préférais peaufiner mes étirements plutôt que de me raconter comment s'était passé ma journée au lycée ou qu'elle me détaille sa soirée avec toutes ses copine débiles.
Violette copinait franchement avec Mathilda, allant ridiculement l'appeler "mon cœur" sur Facebook, chose qu'elle n'avait (heureusement) jamais fait avec moi. Et puis, c'était quoi cette manie d'appeler la soeur de son copain "mon cœur" ? Anthony c'était quoi pour elle ? Son "amour" sa "vie", son "sang" ?
Je ne me sentais pas à l'aise avec les gens. Plus on m'approchait, plus je sentais mes entrailles se resserrer, je souhaitais me défiler.
Je me sentais peu à peu m'éloigner de Charles et Marie, de ma famille, centrée sur la danse.
« Papa ? avais-je demandé comme quand j'avais cinq ans, installée à la table de la cuisine pendant qu'il préparait le repas.
— Je ne peux pas t'aider pour les maths, Raph, désolé.
— C'est pas ça. »
J'aurais aimé lui dire à quel point je me sentais mal, que je me sentais mourir à chaque seconde, que c'était pesant, invraisemblablement, ce que je ressentais.
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Dernière valse.
Teen FictionOn a toujours réduit la vie aux mots, jamais aux actes; même si les mots sont englobés dans les actes. On accorde trop d'importance aux phrases et jamais aux conséquences. Et pourtant, on ne réagit même pas quand l'un d'entre nous se fait...