Chapitre 18 : les nouveaux départs se font au milieu de trajet.

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   LES NÉONS zébraient leurs têtes. Mathilda se pencha pour m'embrasser dans un éclat de rire. Elle s'était dévêtue d'un coup, portant un soutien-gorge violet criard et une jupe à carreaux très British. D'un coup, une douleur aiguë se fit ressentir à mon poignet.

   Le sang coulait abondamment. Des flaques de sang s'écoulaient à mes pieds. Je portais encore mes pointes du cours de danse.

Des milliards de cicatrices charcutaient ma peau. Le long de mes bras se dessinait une peinture abstraite bicolore, chair et carmin. Dans mes mains, la ballerine que Mathilda m'avait offerte à mon anniversaire s'exerçait encore, inlassablement, le pied toujours pointé, si gracieuse dans son tutu immaculé.

Le sang lui glissait dessus sans la tâcher.

   Par crainte de tacher mes pointes de satin, je me penchais et défis les rubans pour poser mes pieds à même le sang coagulé. Je les lançais loin, comme la ballerine, qui s'enroule le cou dans un ruban pour se l'y tordre plus facilement.

   Je baissais à nouveau le nez vers mes pieds. Ils étaient constellés de bleus et des souillures écarlates s'y étalaient. Lorsque je levais les yeux, c'était Tara en face de moi. Elle brandissait un rouge à lèvres dernier cri. La jeune blonde entreprit de me maquiller et me tendit un miroir, satisfaite.

   Je vis mon reflet horriblement joufflu, aux lèvres peinte de rouge. Son artifice commençait à couler le long de mon menton, mal appliqué. Dans ma bouche se faisait sentir un âpre goût de sang. Je touchais de nouveau mes lèvres. Mes doigts en avaient maintenant la même odeur. La musique me tournait autour, les néons me passaient au travers le corps. Je me retrouvais aspergée d'eau.

   Un baquet d'eau glacée lancé par Kurt Cobain en personne, qui s'évapora dans les méandres de sa fumée. Les larmes emplissaient mes yeux sans jamais couler.

   Gene se tenait devant moi, succédant à Tara. Elle m'enroulait délicatement de papier bulle en chuchotant "pars à L'aile, Lele." et à l'instant, je sus où c'était, l'aile. C'était l'endroit où les gens étaient enfin heureux. La jeune fille continua à m'envelopper de papier bulle jusqu'au cou. Le sang avait miraculeusement arrêté de couler.

Gene cousu précautionneusement des ailes blanches immaculées sur mes bras, à l'aide d'une équerre. Je réalisais alors que depuis tout ce temps, elle chuchotait parallèle mais ma décision était prise, je partirais à L'aile. Charles apparu comme par magie et se mit à tourner, larmoyant, se joignant à la complainte de Gene.

Parallèle, parallèle, parallèle.

Elle me chuchotait ce mot du bout des lèvres pendant que Charles le hurlait, si fort que le sang coulait de sa bouche, se mêlant aux larmes translucides glissant sur sa peau. À cet instant précis, une fille au visage masqué, la peau cadavérique, flottant dans des habits de satin noir et la main squelettique aux doigts chargés de bagues apparut.

À son majeur, je reconnus ma bague préférée, une monture en argent et une opale au centre, que Tony m'avait offert à mes quinze ans.

Elle posa sa main sur l'épaule de Charles, qui se mit à crier, se griffer et se mordre franchement la peau, laissant des traces de dents sur sa chair sanguinolente. Il réduisait à vue d'œil, jusqu'à disparaître. Gene qui avait assisté à la scène, laissa s'envoler les mille plumes qu'elle portait dans les bras, toute secouée.

La femme qui avait tué Charles s'approcha de moi, le pas lourd. Elle commença à poser sa main glacée comme la Mort sur moi. Cette femme était la Mort.

Tony accourut, lui frappa d'un coup de poêle si fort qu'il tomba au sol, au milieu du sang si bien qu'il s'en retrouva éclaboussé. La joue couverte de carmin et d'écarlate, il me jeta un dernier regard suppliant, une larme glissant le long de son œil vert.

Dernière valse.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant