"Qui suis-je? Que fais-je? Quelle est ma raison de vivre? Pourquoi est-ce que c'est moi, cet esprit qui est le mien, qui se retrouve dans ce corps-là?"
Puis j'ai baissé les yeux. Spouik me regardait, et il n'en avait visiblement rien à foutre.
- Je me demande pourquoi je te parle. Tu es un cochon, lui avais-je dit.
Spouik s'est tortillé entre mes bras. Je l'ai lâché pour qu'il puisse aller gambader dans l'herbe verte.
J'ai croisé mes bras sur mes jambes repliées contre mon torse. Puis j'y ai déposé ma tête beaucoup trop lourde, remplie de pensée et de réflexions plus ou moins complexes.
Il y a un peu moins d'un an, je fêtais mes vingt-sept automnes.
Vingt-sept ans. Deux ans de plus que vingt-cinq, et trois ans de moins que la trentaine.
La trentaine.
Dit comme ça, ça fait flipper. Mais bordel, je suis bientôt à la moitié de ma vie active.
Le cercle de la vie est divisé en quatre quarts. Le premier équivaut à vingt-cinq ans. Ça va, j'ai encore le temps. Le second équivaut à la cinquantaine, ce qui est vachement proche des soixante ans mais ça va, tu peux encore faire des choses formidables. Comme travailler comme un esclave. Dans le troisième, t'es à la retraite. Et dans le dernier t'es mort.
J'ai bientôt trente ans.
La trentaine pour moi, c'est aimer le chocolat noir, boire un énorme bol de café sans sucre le matin, se concentrer sur sa vie professionnelle, porter des pulls, faire des balades le dimanche après-midi avec les gosses que tu es déjà censé avoir, faire des apéros dînatoire, construire une relation saine avec ta copine (dans la mesure où tu n'as pas de gosses), et donc, par extension, oublier les coups d'un soir, ce qui est logique puisque tu ne vas plus en soirée. Puisque tu vas des apéros dînatoire à la place. C'est sans fin.
Je trouve ça déprimant.
J'ai envie de retourner onze années en arrière, à l'époque de mes seize ans. Où tout ce qui comptait, c'était de gratter du tabac aux autres lycéens parce qu'on avait plus d'argent de poche. Ou des feuilles. Ou des filtres. Je crois que je n'ai jamais payé une seule clope de ma vie. Il y avait aussi les moments où je sortais discrètement de ma chambre la nuit pour aller en soirée. Pour finalement retrouver ma mère qui m'attendais de pied ferme sur mon lit, le regard noir.
C'est dans ces moments-là que j'ai appris mes premières insultes en suédois (mes parents ne jurent pas en temps normal).
Mais là n'est pas le sujet.
La terrible envie de revivre cette période me tend les bras. Mais je ne peux pas remonter le temps. Je peux juste me lamenter sur mon sort, en écrivant sur mon Carnet.
Trente ans putain de bordel de merde.
Bon, relativisons. J'ai encore trois ans avant de préparer l'enterrement de ma jeunesse. Trois ans, ça parait tellement long. Mais cela passe plus vite que l'on ne le croit. La preuve: dans trois mois, j'aurai vingt-huit ans.
Je ne sais vraiment pas quoi faire.
Bouger mon cul peut-être.
Dommage pour moi, ma meilleure amie s'appelle la flemme.
Au secours.
C'est dingue Å, tu passes ta vie à te plaindre, mais tu fais rien pour que ça change.
C'est totalement vrai.
Je viens de me relire, et je me rends compte que je parle à moi-même. Parfois je me fais peur.
Å
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Le Carnet de Å [EN PAUSE]
Fiction généraleAu départ, je voulais appeler ce Carnet "Journal de Bord de Å". Mais c'était trop long et un peu chiant. Å c'est moi. Jeune homme de vingt-sept ans aux cheveux roses, et également chômeur professionnel. Auvergnat d'adoption, mon confident est un co...