J'attendais. J'attendais et j'étais terriblement nerveux. Mes mains tremblaient, et mon pied droit tapait frénétiquement le sol, m'attirant les regard haineux des clients du restaurant.
Car oui, le simple verre que je devais partager avec Annabelle s'était transformé en dîner au restaurant. Je ne savais pas si je devais remercier le ciel pour cette aubaine, ou si je devais le maudire car bien trop stressé. Je devais faire bonne impression, comme on me l'avait bien rappelé ces dernières heures.
C'est également à ce moment-là que j'ai vécu une scène particulièrement gênante.
Je finissais de me préparer, dans le but de paraître plus sortable que je ne le suis d'habitude, chose que je ne fais jamais. Et cela, ma mère l'a bien remarqué.
- Vart ska du så där? M'a-t-elle demandé.
Ce qui signifiait : "où vas-tu comme ça?"
- Jag går ut, avais-je soupiré.
( "Je sors." )
- Med vem?
( "Avec qui ?" )
- An kunskap.
( "Une connaissance." )
- An flicka?
( "Une fille ?" )
- Vem met?
( "Qui sait ?" )
- Jag är din mamma, jag vet allt. Vara galant!
( "Je suis ta mère, je sais tout. Sois galant !" )
J'ai fuis avant qu'elle me demande son nom, son âge, sa profession, son numéro de sécurité social, et quand est-ce que j'allais faire ma demande en mariage. Oui, je parle en connaissance de cause.
Heureusement, je me suis vite retrouvé attablé à la terrasse du petit restaurant, duquel on pouvait avoir un aperçu de l'Allier, la rivière qui traversait l'ensemble du village. J'admirais sa surface sombre sur laquelle se reflétait la lueur de quelques lampadaires, quand une voix m'a sorti de mes pensées:
- Bonsoir Å.
Elle était magnifique. Sa robe noire lui allait parfaitement bien. Elle dévoilait ses jambes pâles jusqu'à mi-cuisse sans les serrer à outrance, et laissait apparaitre juste ce qu'il fallait de son décolleté. C'était typiquement le genre de tenue que j'aimais voir sur une femme.
Je me suis levé pour lui faire la bise, en me retenant de lui faire un compliment qui pourrait laisser transparaître mes intentions. Même si pour l'instant, je cherchais juste à faire plus ample connaissance avec elle, et pas à la séduire.
En s'asseyant, elle avait rabattu ses longs cheveux bouclés de chaque côtés de son visage. Encore une fois, j'avais eu l'impression qu'elle était sublimée. Ou alors, mes sens s'étaient un peu engourdis avec les deux verres deux vins que j'avais bu.
Bouh pas bien, je sais.
Je ne vais pas détailler la longue conversation que nous avions eu, ni les divers sujets sur lesquels nous sommes attardés - qui comprennent entre autres le lycée, l'art, les bouquins, l'alchimie, les moustiques, la nourriture, le port du kilt, etc etc - mais je vais juste retranscrire l'essentiel. De mon point de vue bien entendu.
- Vous m'avez toujours particulièrement intéressé toi et Nemo, m'a-t-elle dit en sirotant son verre de vin.
- Ah? L'avais-je encouragée à continuer.
- Oui. Vous aviez ce petit truc qui faisait de vous des êtres à la fois intriguant et parfois un peu intimidant. Beaucoup n'osaient pas s'approcher de vous de trop près. On se contentait de vous observer de loin en soupirant d'envie. Je ne sais pas si c'est encore le cas pour Nemo, mais toi tu as toujours cette petite étincelle dans le regard.
Elle m'a sourit et je suis resté dubitatif. Comment pouvais-je avoir une étincelle dans les yeux, alors que j'avais autant d'énergie et de joie de vivre d'un légume? Mais comme j'ai apprécié le compliment malgré tout, je l'ai remercié, un peu gêné.
C'est alors que son téléphone a sonné. Nana s'est excusée en prétextant qu'il s'agissait d'un appel important. Je l'ai laissé prendre l'appel. Tandis qu'elle se levait pour se mettre à l'écart, mes yeux ont accidentellement glissés sur ses jambes.
J'avais conscience de passer pour un parfait goujat, alors j'ai vite ramené mon regard là où devait être sa place initiale: droit devant moi.
Au bout d'une dizaine de minutes, qui me semblaient effroyablement longues, Annabelle est revenue s'affaler sur la table.
- Ta conversation s'est bien passée? Avais je nonchalamment demandé.
- Parfaitement bien. Tellement bien que je viens de me faire larguer comme une merde, par mon connard de mec qui a attendu de se barrer au Cap Vert pour me le dire. Superbe.
Puis elle pris la bouteille de vin en main et a commencé à la descendre cul sec.
C'est alors que trois émotions distinctes m'ont traversé l'esprit:
- Aïe. La pauvre.
- Eh. Faudrait peut-être l'empêcher de boire comme ça.
- Elle est célibataire bordel!
J'ai d'abord privilégié l'aspect sécurité. Heureusement pour la brune, j'ai réussi.
Après avoir payé, j'ai tenu à la raccompagner chez elle. Elle n'était clairement pas en état de conduire. Heureusement que j'avais le permis.
Après une bonne vingtaine de minutes de trajet dans un silence de mort, nous sommes arrivés. Je l'ai aidé à descendre, par peur qu'elle ne se blesse, même s'il y avait peu de chance que cela se produise.
Arrivé devant le seuil de son pallier, elle a bougonné:
- Je suis désolée. Je ne pensais pas que ça allait se terminer de cette manière. Tu parles de retrouvailles.
- Ce n'est rien.
Puis mon regard s'est accroché à celui de Nana, d'un vert qui semblait resplendir encore plus intensément ce soir. Nous nous sommes contemplés l'un l'autre pendant un long moment.
Et sans que je comprenne comment, je fus tiré à l'intérieur de l'appartement, mes hésitations envolées tout comme mes vêtements.
Å
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Le Carnet de Å [EN PAUSE]
Ficción GeneralAu départ, je voulais appeler ce Carnet "Journal de Bord de Å". Mais c'était trop long et un peu chiant. Å c'est moi. Jeune homme de vingt-sept ans aux cheveux roses, et également chômeur professionnel. Auvergnat d'adoption, mon confident est un co...