p.10 | Åbandon

83 22 3
                                    

1/08/2016

C'est la dixième page de mon Carnet. Le mois de juillet s'est terminé hier, Thalia rentrera à Paris dans un mois. Ça me rend un peu triste.

Je me suis attaché à cette gamine. En un seul petit mois, nous sommes devenus amis. Elle m'a parlé d'elle, et j'ai fait de même en retour.

Elle m'a confié ses problèmes, ses espoirs, ses rêves, ses moments de doutes. J'ai été une oreille attentive, et mes conseils lui ont étés suffisamment utiles. Du moins je le pense.

Si je n'ai pas écris pendant un certain moment, c'est parce que je n'avais rien à raconter. Rien de plus. Certaines choses doivent rester secrètes ~

Et Thalia n'appréciera sûrement pas que je raconte sa vie dans mon Carnet. Parce que je lui en ai parlé. Elle a même lu quelques passages. Cela me fait penser à une conversation que nous avons eut il y a quelques jours à peine.

Thalia avait voulu que je lui montre l'endroit où j'ai trouvé sa boîte de crayons. Parce qu'il est "important de connaître des petits détails qui ont construits une amitié aussi saugrenue que la nôtre". Je ne suis que le scribe de cette demoiselle.

Nous avons préparé un pic nique que nous avons mangé près de la rivière. En silence. Parce que le repas est un moment sacré, c'est bien connu. Pourtant, j'ai eu l'envie de briser cette règle. Parce que je suis un petit rebelle.

- T'as envie de rentrer à Paris?

- Pas vraiment non. Disons qu'il y a des personnes que je n'ai pas spécialement envie de revoir, me répondit la rouquine en soupirant.

- Qui ça ?

- Mes amis, étonnement.

- Comment ça ? Des amis ne sont pas sensés être des personnes sur qui tu peux compter, à la fois drôles et réconfortants ?

- Si, m'a répondu Thalia en mordant presque tristement dans son sandwich. En théorie si. Mais mes relations amicales n'ont jamais étés comme toutes les autres.

- Continues, l'avais je encouragé.

- Je sais pas. J'ai toujours la sensation d'être exclue, et ce depuis toute petite. Ma relation avec les personnes que je connais depuis plusieurs années stagne. On ne m'envoie pas de message pendant les vacances. Les soirées où je ne suis pas invitée sont organisées devant mon nez. Pendant un repas, je ne décroche pas un mot. Je suis une décoration, la plante verte de leur salon. Je suis là, mais on s'en fout.

Ses émeraudes brillaient. Elle avait détourné le regard, et ses paupières papillonnaient à toute vitesse pour que je ne le remarque pas.

- Tout vient à point à celui qui sait attendre.

- Ça fait dix-sept ans que j'attends Å.

- J'ai attendu dix-sept ans aussi.

De nouveau, ses yeux se sont rivés vers moi. J'ai continué:

- Durant toute ma scolarité, je ne m'attachais pas aux gens. Les seuls amis que j'avais étaient avec moi par intérêt. Un jour, un espèce de fou est venu s'asseoir à côté de moi en anglais. Il s'est moqué de la façon dont notre professeure prononçait mon prénom. Ce garçon, avec qui je n'échangeais que de simples formules de politesse depuis un an, m'a fait rire. On a continué notre conversation jusqu'à ce que l'on échange nos numéros. Tu fais des efforts avec eux Thalia ? Est-ce que tu attends que tout te tombe tout cru dans le bec, ou est-ce que tu tente quelque chose?

Elle n'a pas répondu.

- J'aurais pu laisser cette relation mourir. Mais je ne l'ai pas fait. Parce que pour que quelque chose marche, il faut que cela vienne des deux côtés. Tu comprends ?

La rouquine avait ramené ses jambes contre sa poitrine. Son bras tendu et posé sur l'un de ses genoux, tenait la fin de son sandwich. Quelques miettes s'en échappaient et tombaient sur ses pieds chaussés de converses, malgré la chaleur ambiante. Ses émeraudes étaient perdues dans le vague, et cela me serra un peu le coeur de la voir ainsi.

- Pourquoi je ferai des efforts si j'ai la sensation que je ne serai jamais récompensée ?

- Tente toujours. Et si malgré tous tes efforts ça ne fonctionne pas, alors laisse tomber. Mais seulement à ce moment-là. 

- J'ai l'impression d'être égoïste.

- Tout le monde doit être un peu égoïste. Pas trop. Mais un peu quand-même. Ça se soigne, tu verras.

Je ne su pas ce que j'avais dit de si spécial, mais mes paroles lui arrachèrent un mince sourire.

- T'as une attitude de grand-frère Å. Même si t'es un adulte complètement raté.

Je me suis senti heureux.

Å  

Le Carnet de Å [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant