p.11 | Un poisson å la campagne

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Ce matin, j'ai reçu un message un peu particulier, que je ne croyais plus recevoir :

Hey Å! Je rentre chez mes parents ce week-end ! :D Ça te dis qu'on se voit? :D De toute façon tu n'as pas le choix. J'arrive vers 17h attends moi avec impatience ! (~-.-)~ Bisous et å tout å l'heure !!! >3< (t'as compris hein ?)

J'ai regardé mon téléphone, consterné, avant de soupirer. Ce message rempli d'émoticones, écrit comme un adolescent le ferait, ne pouvait venir que d'une seule personne.

Néanmoins, ça me fit plaisir qu'il pense à moi. C'est pour cela que je répondis un simple "ok".

J'avais le temps jusqu'au soir. Je devais aller voir Spouik parce que ça faisait quand-même longtemps. Il me manquait. J'ai prévenu Thalia qui a voulu m'accompagner. Spouik et elle s'étendent bien. J'en suis content.

Dix-sept heures arriva bien plus vite que je ne le pensais. Nous n'avions pas de point de rendez-vous, mais je savais parfaitement où me rendre.

△△△

Cigarette à la main, regard perdu scrutant l'horizon, cheveux dans le vent, j'avais tout l'air du stéréotype de l'homme ténébreux et torturé. Après une rapide réflexion, je me suis dis que ça aurait été plus crédible si je n'étais pas accoudé à une barrière en bois croulant sous le poids des ans, et si je n'avais pas les cheveux roses. 

J'ai scruté un long moment l'eau verte du lac non loin de moi, en me demandant si les poissons et autres grenouilles appréciaient réellement de vivre dans de pareilles conditions.

En parlant de poisson, j'en ai vu un accourir vers moi en beuglant comme un veau. Ce qui était assez paradoxal quand on y pense.

Il m'a sauté dans les bras en criant et j'ai crié aussi. Par réflexe. Puis il a dit en criant:

- Å! Ça fait tellement longtemps ! Tu m'as tellement manqué !

J'ai cru qu'il allait se mettre à pleurer. Pour le consoler, j'ai délicatement tapoté son dos en lui disant:

- Ça va, ça va. Ça fait juste quoi ? Cinq ans ? Pas très long.

- Cinq ans c'est énorme dans la vie Å. Le monde peut tellement changer en cinq ans.

- T'en es la preuve vivante: pourquoi tu portes un costard et les cheveux courts ? Ça ne te ressemble pas.

Il se gratta la nuque d'un air gêné et ricana bêtement. Je n'avais jamais vu Nemo accoutré de cette manière, et ce depuis que je le connaissais, c'est-à-dire onze ans.

Nemo, c'était mon premier véritable ami au lycée. Il avait fait le premier pas vers moi, et était resté, malgré mon caractère de blasé de la vie qui en aurait gonflé plus d'un. Il était continuellement excité comme pile électrique, joyeux et souriant. Ce genre de tempérament m'a toujours plus fatigué qu'autre chose. Mais j'ai senti que Nemo était différent.  Il n'y avait pas une once de jugement dans son regard. Moi qui m'était toujours senti quelque peu à part et "différent", vu dont la façon dont on me regardait, je me suis senti bien avec lui.

C'est comme ça que Nemo est devenu mon meilleur ami.

J'ai appris à apprécier ses cheveux beaucoup trop long, ses pulls trop larges, sa passion inébranlable pour le ukulélé, et son goût prononcé pour le tzatziki. Oui, Nemo était un ado à part, tout comme moi et mes cheveux roses, ma tête de zombie, et mes bras tatoués à seize ans.

Après l'obtention de notre bac (littéraire cela va de soi), Nemo avait voulu monter sa propre boite d'animation. Puis il s'était rendu compte que ça ne lui plaisait pas tant que ça, et qu'en plus, c'était un peu mort. Alors il avait décidé de migrer dans une région obscure mais néanmoins connue de tous: la Bretagne.

Je ne l'avais revu que brièvement depuis cette époque, puis plus du tout. Mais même sans nouvelles, je savais pertinemment qu'il allait revenir dans ma vie d'une manière ou d'une autre. La preuve aujourd'hui.

- Donne moi une clope et raconte moi ta vie.

J'ai machinalement sorti mon paquet de ma poche, et je lui tendu une. Il l'alluma avec difficulté, et j'ai dû faire une barrière contre le vent avec mes mains pour que la petite flamme survive. Quand ce fut fait, il tira une latte et m'interrogea à nouveau:

- Alors?

- Si je ne dis rien c'est qu'il n'y a rien à dire. J'ai un porcelet pour ami, ainsi qu'une rousse de dix-sept ans.

- Han mais c'est bizarre.

- Pour quoi?

- Pour la fille.

- Si j'étais un immonde pédophile je te l'aurais dis.

- Pas faux.

Je me mis à observer le lac vert, puis je me suis rendu compte que c'était un peu se foutre de la gueule de son ami de ne pas prendre de nouvelles.

- Et toi, la vie, tout ça. Ça va ?

Il me fit un sourire en coin dont lui seul à le secret, et me répondit d'un air mystérieux :

- Ouais. Tu te souviens de Laura ?

- La petite blonde qui nous suivait de partout parce qu'elle était à fond sur moi ? Un peu que je m'en souviens.

- On va se marier.

- Ah.

J'étais à la fois heureux et perplexe face à cette révélation. Heureux car je ne voulais que le bonheur de mon ami, et perplexe car je me demandais si Laura était réellement une fille bien pour lui. Peut-être qu'elle avait changé avec le temps, mais je gardais d'elle un souvenir amer.

- Eh ben... Félicitations.

- Merci ! Répliqua Nemo avec enthousiasme. Je veux que tu sois mon témoin.

- Euh... D'accord.

- Elle me tanne avec ça depuis longtemps. J'étais pas vraiment... Chaud pour ça au début. Mais vu les circonstances... Finalement je ne regrette pas ma décision.

- Attends, quelles circonstances ? Demandais-je inquiet.

- Je vais être papa Å.

Oh seigneur.

- Et j'aimerai que tu sois le parrain de mon enfant.

- Mais... Mais enfin ! C'est quand-même une responsabilité que tu me donne là ! Et tu sais à quel point je suis irresponsable! Souviens toi de mes poissons rouges.

- Quels poissons rouges ?

- Tu vois ! Ils ont eu une vie si courte que personne ne souvient d'eux !

Je commençais réellement à être désespéré. Qu'est-ce qu'il lui avait pris de faire un gosse avec Laura, et de me désigner comme parrain? Cet homme ne tournait pas rond.

Je senti une main se poser sur mon épaule.

- T'inquiète. Tu seras excellent. C'est bien pour ça que je t'ai choisi.

Å

Le Carnet de Å [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant