Ni une ni deux, j'étais rentré à l'intérieur du salon, en demandant à la rouquine de m'attendre. Cette gamine était un signe du destin. Hors de question que je la laisse s'échapper.
Je me suis empressé d'aller rincer le produit qui posait sur les cheveux de Madame Giroud, avant de me lancer vers ma patronne du jour. À la manière d'un chaton quémandant sa nourriture, j'ai fait ma plus belle bouille. Dans la mesure où j'étais encore capable de faire des têtes mignonnes.
- Vous n'avez plus besoin de moi? Je peux y aller? Avais-je demandé.
- Bien sûr. Tu as été parfait comme d'habitude, m'a-t-elle répondu en souriant. Tu peux y aller.
- Merci beaucoup.
J'ai amorcé un pas vers la sortie, avant que la voix d'Astrid (ma patronne d'un jour donc) n'interrompe mon élan.
- Attends un peu Å. Je ne t'ai pas encore donné ta paye.
- Ne vous inquiétez pas pour ça. Je repasserai.
Sans aucune autre forme de respect, je suis sorti, en faisant tinter la clochette avant de lancer un "au revoir et merci" sonore pour être sûr qu'elle m'entende. Le merci était peut être de trop, mais ma mère m'a toujours appris à dire merci. Tout le temps, à n'importe quelle occasion. Alors je suis ses conseils.
La rouquine était toujours là. Elle malmenait les lanières de ses sandales, sans doute par ennui ou gêne. Quand elle me vit, elle se leva du trottoir où elle était assise et s'approcha timidement de moi.
- Qu'est-ce que vous voulez ?
Vu le ton qu'elle avait employé, en totale contradiction avec son attitude, me laissait croire qu'elle avait peur de moi. Peut-être me prenait-elle pour un pédophile? Seigneur non.
- N'aie crainte. Je ne te veux aucun mal si c'est ce que tu pense. Je veux juste te rendre ceci. Il me semble que cela t'appartient.
Je lui ai tendu la boite de crayons aquarelles que j'avais cachée derrière mon dos. Ouais, je l'avais trimbalé avec moi toute la semaine dans l'espoir de rencontrer son propriétaire. La rouquine a attrapé la boîte, l'air méfiant.
- Merci. Où l'avez vous trouvé ?
- Sous un banc. Près de la rivière.
Elle hocha la tête, tout sourire, en me remerciant encore une fois. Elle fit mine de s'en aller avant que je ne vienne l'interrompre dans son mouvement:
- Comment t'appelles tu?
- Thalia.
- Thalia ? J'aime bien, c'est joli. Ça te va bien.
Elle m'offrit un sourire gêné. Je devais avoir l'air d'un gros dragueur de campagne à ses yeux.
- Tu dois penser que je suis quelqu'un de bizarre.
- C'est le cas.
Ah. Très bien. Je savais que mon attitude n'était pas celle de quelqu'un de normal. J'avais honte. J'avais honte mais j'ai quand même continué :
- Attention, je vais te raconter ma vie. Tu es prête ? On y va : ça fait de nombreuses années que je n'avais pas eu le désir de dessiner, de créer quelque chose. Et en te voyant avec ton carnet et ton crayon à la main, ça a éveillé en moi des sensations que je croyais totalement enfouies. Alors je voulais savoir si tu voulais juste discuter un peu avec avec moi. Parce que j'ai envie de découvrir la personne qui m'a redonné ce goût pour l'art. Ah, et tutoie moi aussi. Je ne suis pas si vieux que ça.
Je n'ai pas l'habitude de parler autant. Mais mon petit monologue avait fait son effet, puisqu'elle me regardait fixement. J'avais l'impression d'être passé aux rayons X par ses yeux émeraudes.
- Pourquoi tu as les cheveux roses ?
Sa question m'avait dérouté. Mais j'ai tenu à y répondre:
- Je sais pas. Je les ai depuis le lycée. Je crois que je trouvais ça épique comme je disais.
- J'aime bien. On dirait une petite licorne. Il y a des cafés frappés au bar?
- Non, mais la limonade est très bonne.
- Et bien allons-y alors, ô personne que je ne connais pas.
Si j'étais spécial, cette gamine l'était tout autant.
Å
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Le Carnet de Å [EN PAUSE]
Ficção GeralAu départ, je voulais appeler ce Carnet "Journal de Bord de Å". Mais c'était trop long et un peu chiant. Å c'est moi. Jeune homme de vingt-sept ans aux cheveux roses, et également chômeur professionnel. Auvergnat d'adoption, mon confident est un co...