VIII

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Harry n'avait pas daigné m'adresser la parole depuis la dernière altercation, or nous dînions toujours ensemble chaque soir. Sans un regard, sans un mot. Il restait toujours silencieux, aussi froid qu'à son habitude.

Pour Marthe cela représentait une peine, pour moi un affront, car je savais que je ne plierais pas devant lui. Et lui non plus, quand bien même je l'espérais profondément.

J'avais réussi à regrouper bon nombre de domestiques pour l'organisation de ce Noël clandestin. Lumière et Marthe en faisaient grandement partt et étaient certainement les seules qui se réjouissait le plus. Quant aux autres, ils étaient évidemment heureux à l'idée de profiter d'une soirée de congés et de regroupement hors nombre d'entre eux restait sceptique. Ou craignait peut-être une nouvelle crise de leur Maître.

Le vieil homme que tout le monde surnommait Big Ben, et je commençais à faire de même, nous lorgnait d'un œil accusateur. Ils nous écoutaient, nous suivait. Je craignais qu'il ne se doute de quelques choses, j'avais peur qu'il ne soit un espion parmi ses murs et que bientôt nous serions découverts. Or jusque maintenant nous n'avions été victimes d'aucune fuite.

Lumière prévoyait de magnifiques illuminations, Marthe parlait d'un fabuleux festin, de biscuits et desserts en tous genres tout plus alléchant les uns que les autres, tandis que je me contentais d'imaginer une somptueuse salle décorée, des sourires et des rires aux éclats venant de toutes parts. Qui sait, peut-être même de la part du Maître.

J'osais l'imaginer.

Je dévorais un roman trépident sur mon bon fauteuil près de la fenêtre, je regardais la neige tomber de temps à autre, près de l'antre de la cheminée qui brûlait. Une terrible tempête de neige faisait rage dehors, je ne pouvais plus rien distinguer. Je perdis ma page, oubliais les personnages et me demandais comment vivait ma famille.

Je me demandais très souvent s'ils s'inquiétaient pour moi, s'ils pensaient à moi comme je pense à eux avec tant de tristesse. Je me demande si je leur manque, ou si mon père est en ce moment même encore en train de donner un nouveau sermon, sur comment la stupide Belle mérite son enfermement forcé à cause des imbécilités qu'elle avait en tête. Je me demande si Anna et Charles se sont retrouvés, s'ils ont retrouvé la maison. S'ils sont encore en vie ...

« Vous pensez trop Mademoiselle Belle. Arrêtez de vous faire du mal, me conseilla Marthe en entrant dans la bibliothèque et posant le service à thé devant moi.

- Je le sais bien Marthe. Mais en cette période je ne peux m'empêcher de penser à ma famille, à ma mère surtout. Elle était très malade lorsque j'ai quitté la maison il y a des mois.

- Je commence à vous connaître Mademoiselle, et je sais que vous culpabiliser en ce moment. Mais vous n'aviez que de bonnes intentions en voulant chercher fortune dans le Nord.

- En effet, mais je me demande souvent comment aurait évolué ma vie si j'étais resté auprès d'eux, lui avouais-je en tournant laborieusement la tête vers elle. Peut-être suis-je seulement nostalgique parce que je sais au fond de moi qui si j'avais réussi à retourner chez moi. Mon père m'aurait très mal accueilli, peut-être m'aurait-il châtié. Ici ... vous avez eu la bonté de me soigner, à deux reprises ! dis-je en riant.

- Et vous êtes une bien bonne malade laissez-moi vous le dire. Vous êtes une bénédiction pour nous, lorsque nous vous avons vus dégringoler de la plaine ce soir-là, nous avons tous vu votre jeune sœur vous venir laborieusement en aide et cueillir cette rose ...

- Vous étiez là ? demandais-je avec intérêt.

- Je me tenais sur le haut balcon lorsque j'ai entendu les hurlements des loups. Nous les entendons très peu par ici alors j'ai s'eu qu'il se passait quelques choses d'étrange. Le Maître est sorti dans le grand hall et c'est à ce moment-là que nous vous avons vus tomber de si haut. J'étais absolument certaine que vous étiez décédée ma chère, c'était affreux. Et puis cette jeune femme est arrivée à votre chevet et vous vous êtes relevée. »

La Belle et La BêteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant