VIII

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- Non, je ne veux pas ! Yves, arrête d'insister : il est tout simplement hors de question qu'on l'arrête. En réalité, crois-tu vraiment que ce soit lui, l'As ? Vous êtes tous aux abois. Vous voulez le découvrir. Un suspect et hop vous vous emballez.

- Alors que comptes-tu faire si tu insistes tant pour abandonner la seule piste que l'on ait réellement ? Nous avons deux semaines pour ensuite passer à autre chose... Deux semaines pour une affaire complexe comme celle-ci c'est presque impossible.

- Nous n'avons pas que cette piste. Il nous faut trouver le complice chez les journalistes et aller inspecter la salle où il y a eut le coup de Poker. Et Paul ne s'envolera pas. Il n'est pas comme cela, lui.

Yves voyait bien sa détresse et en avait pitié. La jeune femme avait l'esprit ailleurs. Elle cherchait à éviter le problème, à le déplacer, pour que son cœur n'en soufrît pas trop.

- Soit, acquiesça-t-il la conscience tourmentée par son instinct professionnel. Nous irons sur les lieux du vol. Nous chercherons parmi les journalistes. Mais il faudra bien revenir vers Paul.

Mais cette dernière phrase avait été murmurée comme s'il ne voulait pas que la jeune femme l'entendît.

***

Julie se dépêcha de saisir son manteau pour sortir. Par habitude, elle glissa ses mains dans ses poches. Et frémit.

Une surface cartonnée, lisse... Deux cartes de poker ! Un cinq de carreau et un as de pique plus précisément.

C'en était trop ! Elle s'assit sur les marches de l'escalier et versa quelques larmes. C'était elle qu'on attaquait... L'As s'en prenait à elle et se plaisait à malmener son cœur. Charismatique, fantastique, séduisant... Bien sûr. Plutôt sournois, calculateur et mauvais, oui.

Écœurée, elle se leva pourtant et rejoignit Yves devant le club de Poker. Il voyait ses yeux rouges et son état malade. Tout cela le troublait et le derroutait.

- Il a glissé les deux cartes de la triche dans ma poche, dit simplement la jeune policière.

Son collègue préféra ne rien répondre. Il entra d'un pas décidé dans la pièce mais très vite en fit le tour. L'unique différence aux précédentes mises en scène était que des cartes avaient été éparpillées dans la salle et qu'elles avaient toutes au dos la signature de l'As.

Ils étaient las, incapables de bien réfléchir, ni d'être réactifs. Leur premier engouement pour cette enquête était passé. Il n'y avait plus qu'un vide terrifiant dans leur âme. Et tristesse.

L'As, lui, riait. Se moquait. Ironisait. Il était heureux. Sa quinte flush royale abaissée, ses premières cartes jouées, et son bluff absolument irréprochable entamé, il se sentait à l'aise pour remporter les manches suivantes. Et pas besoin de triche : il avait toutes les cartes en main.

***

Nous sommes au soir. Une ombre sautait par la vitre brisée d'un appartement désaffecté. Elle longeait prudemment les murs pour ne déclencher aucune alarme. Une petite cour à traverser... Et juste en face, le commissariat.

En quelques mouvements et tours d'adresse, l'homme fut face à un ordinateur et souriait. Il se connecta rapidement sur la session de Julie et ouvrit les dossiers concernant l'ADN. Il savait quoi faire. En quelques passes, il avait modifié son ADN. Maintenant, il n'avait même plus à se cacher.

Il allait quitter le bureau quand il s'apperçut de l'heure très matinale. Il avait assez de temps pour franchir une nouvelle étape vers son objectif.

Il chercha la page des notes et commença à rédiger :

" Julie,

Tu ne me connais pas. Tu brûles de savoir qui je suis. Et moi, je ne te le dirais que lorsqu'il me plaira. Oui, je ne suis pas un homme ordinaire. Tu crois me poursuivre mais en réalité tu te perds toi-même. Tout cela ne mènera à rien.

On m'a dit que tu soupçonnais ton fiancé. Comment peux-tu être aussi infidèle ? Tu as vu que cette enquête te brise. Qui est le plus important entre l'amour et le devoir ? Dilemne digne de Corneilles, n'est-ce pas ? Suis-je donc Paul ? Que dois-tu faire ?

Pourquoi ne laisses-tu pas les rêves, les symboles, les mystères et l'amour envahir ta douce âme ? Risqueras-tu de perdre ta naïveté en poursuivant une quête aussi dangereuse ? Je cherche la gloire. Comme tout homme sur Terre. Mais contrairement à beaucoup, je ne suis pas cupide. Je ne suis pas malveillant. Je ne suis pas orgueilleux. Cet argent n'est point pour moi. Il est pour les étoiles, vois-tu.

Je suis Robin des Bois, le héros des souvenirs naïfs. Je suis un vagabond au service des plus pauvres. Je suis l'être qui erre dans les ruelles noires, le cœur en or. Je suis l'âme de la nuit. Je suis l'ombre des faibles. Je suis leur force. Je suis l'étoile éteinte qui brille au fond des canivaux. N'éteinds pas ma poésie. N'éteinds pas les souvenirs de ton enfance, car tous en pâtiront.

N'oublie pas que je sais qui tu es et que tu ne sais rien de moi. N'oublie pas que tes doutes peuvent te détruire.

Et je signe,
L'As."

Il laissa voler ses doigts sur les dernières touches et les caressa d'un léger effleurement. Il se prit à rêver de sa réaction lorsqu'elle verrait. Émit un petit rire. Et s'enfuit par où il était arrivé.

Oui, il savait ce qu'il faisait et il s'en amusait. Après tout, ce n'était pas plus dur qu'une partie de carte. Les mêmes règles, les mêmes tactiques, les mêmes triches.

Les mêmes sentiments qui le prenaient tout entier pour l'élever aux nues. Les mêmes passions qui malmenaient son âme. Les mêmes regards, brillants et fous. Le même jeu des sentiments.

Et lorsque l'âme se fait prendre au piège et qu'elle crie à travers les mailles du filets, éperdue... Il est bon de dévier ses regards vers d'autres sujets. Il est bon de relancer l'attention abîmée. Alors le jeu reprendra sa vigueur car on croit s'attaquer à un autre ennemi alors qu'en réalité : c'est toujours le même qui guide les passions et fait trembler les cœurs.

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Première apparition de l'As !!

Coup de PokerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant