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Un éclat las... Des yeux doucement plissés ne laissant s'échapper qu'une maigre fente brillante... Des traits tirés par un ennui immense... Et un moue désabusée.

Nicolas paraissait dormir. Il regardait dans le vide, se tenait légèrement courbé, adossé au mur. On parlait de lui, on discutait de son sort mais il ne prêtait même pas une oreille distraite.

Son avocat était emphatique. Il le défendait avec une verve incroyable. Comment pouvait-on s'en prendre à un tel génie ? Comment imaginer un seul instant qu'il puisse être coupable ? Il y a des hommes qu'on ne peut juger de manière anodine et l'As est trop fort pour terminer ses jours derrière les barreaux.

- Soit ! S'écria alors le procureur. Mais qu'il rembourse !

Nicolas releva lentement sa tête et dans ses yeux brillèrent une lueur d'intérêt. Son avocat le vit réagir et soupira... On autorisa l'accusé à parler.

- Cet argent n'est plus à moi. Allez donc le récupérer à l'orphelinat pour le rendre à ces miliardaires...

Et il retomba brusquement dans sa léthargie. Les juges se regardèrent, absolument interloqués. Il fallait faire justice. Mais comment ? Ils parlementèrent encore longuement... Nicolas rêvait. Certains juges s'étaient mis à crier. L'avocat tempêtait. Le procureur était rouge. Et Nicolas songeait. On lui jetait des coups d'œil fatigués de le voir si amorphe. On sentait ses nerfs près d'exploser. L'affaire était insoluble. Mais Nicolas méditait.

Quand les juges virent arriver l'heure du déjeuner et qu'ils commencèrent à penser faire une pause, Nicolas sortit de nouveau de ses pensées... Il fit signe à son avocat et celui-ci, ravi de le voir montrer enfin quelque intérêt à son procès, demanda à ce qu'on lui laisse encore une fois la parole...

- Vous criez... Vous braillez... Vous gesticulez... Et vous cherchez déjà à décider de mon sort. Idiots ! Je ne vous ais pas encore tout dit !

- Eh bien dites ! S'exclama l'un des juges en réprimant un mouvement de colère devant cette impolitesse.

- Vous ne savez pas comment j'ai triché. Et vous ne savez pas pourquoi je l'ai fait.

Il se tut de nouveau... Laissant durer le suspens. Un silence terrifiant s'était fait dans la salle et on était suspendu à ses lèvres. Le procureur ajouta cependant d'une petite voix :

- Et nous ne savons pas ce que signifie le neuf de cœur.

Mais le jeune homme l'ignora et poursuivit avec au coin des lèvres cet insupportable sourire :

- J'ai eu un grand maître, Oscar, pendant mon adolescence, qui m'a appris tout ce que je sais aujourd'hui. Le bluff, les combinaisons, la maîtrise de soi... Et la triche. Et la triche. Je connais différentes façons de tricher. Mais voici mes deux préférées : jugez-en leur efficacité. D'abord une méthode extrêmement courante mais qui nécéssite quelque habilité : je glisse des cartes fortes dans ma manche, chez moi, et je les remplace par les cartes de mon jeu. J'apprécie cette technique, et y excelle par ailleurs. Mais celle qui a ma préférence est autre parce qu'elle est sûre et que c'est indubitablement la meilleure. Elle demande une patiente préparation : il s'agit de trier le jeu avant la partie de façon à avoir les bonnes cartes en main.

Devant leur mine incrédule, il fit signe à sa sœur de s'approcher et sortit de son sac les trois jeux. Il en prit un et le posa sur la table : vers le milieu, il y avait deux cartes à peine cornées qui supposaient que le bouton couperait à cet endroit précis. Nicolas coupa. Il distribua les premières cartes comme pour un début de partie et expliqua en même temps :

- Moi je suis assis ici. Tout est calculé dans l'ordre auquel j'aurai au préalable rangé ce jeu pour que j'ai les meilleures cartes. Eux auront des combinaisons de moindre importance. Le bouton brûle la première carte. Chaque carte qui sera posée sur la table - car j'ai pris en compte celles qui seront brûlées - viendra m'aider à former une puissante combinaison. Nul besoin de bluff. Je sais d'avance que j'ai gagné. La question maintenant est : pourquoi prendrait-on mon jeu ? Mais je sais me montrer persuasif. C'est ainsi que j'ai fait gagner Paul lorsqu'on le soupçonnait. Je lui ai passé un jeu de carte trié en lui donnant ma place.

On était ébahi par son génie. Mais le procureur intervint de nouveau :

- Et pourquoi avoir agi ainsi ?

- Parce que je voulais jouer. Parce que je voulais faire quelque chose de grand. Parce que je voulais aider cet orphelinat où j'ai moi-même vécu. Et pour une dernière raison : pour ce neuf de cœur. Ne dites rien ! Je ne répondrai pas à cette question.

De nouveau, les juges se regardèrent... Comme gênés. Puis on lui posa cette dernière question :

- Et comment expliquez-vous le fait que Paul ait été soupçonné justement ?

- Paul jouait dans les casinos et le cachait à sa fiancée. Je l'ai découvert et compris que cela me ferait une parfaite couverture. Il a joué de malchance et j'ai orienté les soupçons d'Yves sur lui en créant ce montage de Paul devant le café Carpe Diem. Le mail a bien été envoyé par Paul mais est passé par ma boîte-mail pour que je le modifie et le renvoie à Julie comme si c'était Paul qui l'avait envoyé. Samuel Blet a reçu de l'argent pour dire que Paul était l'As. Et maintenant vous savez tout.

Les juges étaient soudainement calmés après cette intervention. Ils ne criaient plus. Il n'y avait plus de disputes. Nicolas retomba dans sa douce rêverie et tous avec lui gardèrent le silence. Une fois de plus, l'As surprenait...

***

Il fut décidé que Nicolas recevrait une peine de six années de prison et cinq avec sursis. Il se fit conduire sans émettre aucune protestation et toujours aux lèvres son irrésistible sourire. Julie était blanche ! Elle resta enfermée chez elle une semaine durant et ne vint pas dire au-revoir à son frère devant la prison.

Mais Nicolas était ailleurs, ironique. On l'enferma. On claqua la porte. Il n'avait plus rien sur lui, tout perdu. Et il souriait.

Le lendemain, en entrant dans la cellule, le geolier ne vit personne. Et sur la paillasse une carte...

Un nœuf de cœur.

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