IV

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Julie arracha fébrilement l'article des mains et lança un coup d'œil au fonctionnaire. Il l'observait avec crainte et curiosité. Après tout, elle faisait partie des meilleurs agents de Paris. Ce n'était pas rien... Non pas rien !

L'article ressemblait fort aux autres articles du premier coup de poker. La scène avait eu lieu dans un autre café Carpe Diem aussi. L'As s'était attaqué à un autre club de fortunés joueurs de poker : le club du Bourg. Immensément riches et adroits au bluff et au poker. Mais si cet exploit ne faisait pas la une des journaux c'est que la somme remportée était moins importante : uniquement quatorze millions de francs.

- Encore cette référence à l'as, le quatorze. Mais qui est-il donc ? Murmura Julie songeuse. Il lance des étincelles éblouissantes avant de s'évanouir dans la nature. Et quel est son but ? Je pense que pour un homme comme celui-là il va me falloir sortir ma psychologie.

Elle s'était arrêtée au milieu du hall et tous l'observaient avec curiosité. Elle parlait pour elle-même, tout bas, très vite ! Et agitait fébrilement la feuille imprimée. Plus elle avançait dans ses pensées et plus ses yeux se révulsaient et elle serrait fort ses lèvres. Effrayé par son état statique, Yves finit par lui serrer fort le bras en s'écriant :

- Julie ! Est-ce que ça va ?

Elle émergea de sa léthargie en souriant joyeusement. Gonflant sa poitrine de joie, elle ordonna d'une voix où brillait l'excitation :

- Changement de programme ! On file sur les lieux du mystère pour analyser la salle avant que quelqu'un ne la touche...

Et, faisant volte-face, elle sortit en coup de vent du bâtiment. Yves la suivit tant bien que mal en grommelant encore une fois sur son triste état d'assistant.

- Yves, donne-moi ton impression sur ce deuxième coup. Nous savons que c'est le même joueur. Et il réitère son exploit. La presse est avertie avant la police alors que j'avais donné des ordres très clairs. Et tout semble se répéter.

- Si tout est à l'identique, Julie, il faudra fouiller du côté des journalistes. Il est certain que l'As doit y avoir des complices.

- Dis-moi ce que tu penses fondamentalement de ce coup ?

- Pourquoi me demandes-tu cela ? Eh bien... L'As a joué de nouveau pour gagné de l'argent et certainement accroître encore sa popularité - ce qui a d'ailleurs échoué.

Julie fronça des sourcils à cette dernière phrase et parut désapprouver. Elle chercha ses mots avant de répliquer d'une voix douce :

- Non. Je ne pense pas que cela ait échoué. Nous n'avons vu que les prémices d'un article, certainement rédigé par l'un de ses complices. Mais demain, la presse s'arrachera ce fait. Car les gens aiment croire à la chance. Et les journalistes souhaitent vendre aux particuliers ce qui les intéresse, ce qui les marque, ce qui est incroyable, ce qui les fait rêver...

C'est alors qu'ils aperçurent le café. Tout était relativement similaires et ils ne s'y arrêtèrent pas longtemps. Deux cartes encore une fois, d'une marque différente des deux précédentes, avec la signature au dos. Il n'y avait pas d'autres indices.

En revenant vers le bureau de police, Julie ne disait rien, à la grande stupeur de son ami. Elle tenait les deux cartes entre ses mains et les fixait d'un œil morne et profond. Troublé par ce mutisme, Yves conduisait plus vite, pressé d'arriver. Il n'osait prononcer un mot par peur de réveiller la lionne qui sommeillait en elle. Mais une certaine gêne était alors présente dans la voiture.

On était déjà au soir. Galamment, Yves reconduisit Julie jusqu'à son appartement. Elle lui dit brièvement au-revoir avant de monter jusque chez elle.

- Il y a quelqu'un ?

Paul ouvrit la porte de sa chambre avec un petit sourire.

- Mais quand donc travailles-tu ? Rit la jeune policière.

- Au bureau, le travail s'est terminé plus tôt. Il semble que la bourse ait quelque soucis en ce moment.

- Comment cela ?

- Ces vols fréquents ne font certes pas marcher les affaires. Au fait, j'ai eu ton frère tout à l'heure au téléphone. Il demande s'il peut se joindre à nous au dîner.

- Cela ne te dérange pas ?

- Tu ne le vois jamais...

Ravie, la jeune femme lui sauta au cou et déposa un baiser sur ses lèvres.

Elle passa sa soirée à cuisiner, installa une jolie table et revêtit une robe un peu chic. Surpris, son fiancé la regardait faire en hésitant à s'habiller un peu lui aussi. Elle lui adressa un joli sourire avant de lui expliquer :

- Nicolas est revenu d'Amérique avec quelques richesses et des manières de vivre certainement plus raffinées. J'aime bien lui faire plaisir en m'habillant élégamment pour qu'il se sente à son aise. Mais toi, fais comme tu le sens.

Alors que vingt heures sonnait à l'horloge, le jeune homme frappa à la porte. Julie l'accueillit joyeusement. Ils débutèrent le repas tranquillement mais très vite en vinrent à aborder le sujet de l'As.

- Avec le dernier coup de poker, il a marqué une nouvelle fois les esprits. Je me demande comment il parviendra à son objectif. Et quel est son objectif ?

- Julie... Intervint Nicolas d'une voix pensive. Comment t'y prends-tu pour résoudre cette enquête ?

- Tu veux dire que je n'y connais presque rien en poker ? Et justement j'aurais besoin de ta science, si du moins tu te souviens des règles.

- Moi ? Ça fait longtemps que je n'ai pas joué. Et je n'ai jamais été excellent.

- On va faire avec. Je connais plus ou moins les règles du jeu - je me suis rapidement informée sur internet. Mais je voudrais me renseigner sur les différentes techniques... De bluff...

- Oula... Comment t'expliquer ça ? Eh bien, l'objectif d'un joueur qui blufe est de décourager les autres joueurs. S'ils abandonnent avant que l'on montre les cartes, pour le blufeur c'est gagné ! C'est le cas le plus courant.

- Alors pourquoi tricher quand il y a le bluff ?

- Honnêtement, je n'en sais rien. Je suppose que parfois, il suffit de voir le regard des autres pour comprendre qu'ils ont plus que nous, qu'ils sont plus intelligents et qu'ils perceront le bluff... Mais pour la triche, ne compte pas sur moi, rit Nicolas. Mais je pense juste que...

- Ce doit être l'effet du désespoir,  termina Paul d'une voix morne. Ou le désir de marquer les esprits par une puissante combinaison.

- L'As, approuva la jeune femme, veut montrer que la chance est de son côté. Et... Oui je reste fixée sur mon idée première : ce n'est qu'un tricheur.

Elle sourit et étouffa un bâillement. Son fiancé l'observa avec attendrissement avant de déclarer :

- Il est temps de mettre fin à ces discours. Il se fait tard.

Coup de PokerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant