XIII

65 18 24
                                    

- Tu es l'As.

- Non... Non.

- Pourquoi persistes-tu à le nier alors que tu viens de nous le montrer en dévoilant ton génie ?

Paul levait des yeux timides et effarés vers le commissaire. Sa bouche à demi pincée et sa gorge nouée lui donnaient un air d'enfant pris sur le fait. Son interrogateur soupira :

- Paul... Il y a des moments où - ne le prend pas mal - je m'étonne de trouver en toi autant d'innocence et de candeur que de perfidie. Pourquoi me regardes-tu avec des yeux de cockers mouillés ? Enfin, tu es un homme ! Révolte-toi ! Défends-toi ! Mais rien n'est pire que cette pitoyable impassibilité.

Paul lui jeta un regard noir et se leva de son siège pour marcher un peu. Il ne disait toujours rien et gardait ses lèvres obstinément serrés. Au bout d'une longue réflexion, il marmonna :

- J'ai joué parce que je voulais voir Julie. J'ai gagné. Maintenant, laissez-moi la voir.

- Et tu lui diras tout ?

- Mais je ne suis pas coupable !

- Attends deux minutes, je l'appelle.

Et le commissaire sortit.

Une heure plus tard, Julie entrait dans la cellule. Les traits fatigués. Elle sourit en apercevant son fiancé. Mais très vite, elle esquissa une légère grimace, comme se rappelant tous les doutes qui planaient au-dessus d'eux. Elle s'assit, légèrement tournée vers la porte.

Paul qui s'était levé en l'entendant arriver suivit le mouvement et s'assit de même. Puis ils gardèrent longuement le silence. À peine si l'on entendait leurs respirations. Parfois seulement, un des deux levait furtivement les yeux avant de les rebaisser craintivement. Et le silence persistait. Absolument angoissant !

Julie maudissait intérieurement Paul d'avoir tant insisté pour la voir. Mais pourquoi ne disait-il rien ? Et maintenant, elle était toute embarrassée de se trouver ici.

Son fiancé, quant à lui, se rongeait les ongles de timidité. Jamais il ne s'était trouvé aussi peureux mais ce qu'il lui arrivait aujourd'hui le dépassait largement. Alors comment réagir ? Il avait peur de dépasser les limites en agissant trop vite...

- Julie ! Dit-il précipitement.

Elle leva les yeux par curiosité. Les lèvres de son fiancé tremblaient. Il ne dit rien.

Et de nouveau le silence. Et ce trouble atroce qui dérangeait autant les deux fiancés. La pendule sonna. Une demi-heure avait passé.

Ce fut l'élément qui décida Paul. Il devait lui dire.

- Je suis innocent.

- Comment le prouver ? Répliqua-t-elle aussitôt avec amertume.

- Je ne sais pas. Le hasard se lie contre moi. Je n'ai aucun indice.

- Alors je vais t'aider. As-tu un alibi pour ces trois soirs où il y a eu le coup de Poker ?

- Et pourtant tu le sais... Je n'en ai aucun. Chaque fois j'étais au casino.

- Au casino ?

- Oui, Julie. Je joue beaucoup. Je voulais te le dire mais... Je ne comprends pas...

- On va mener notre enquête pour savoir si oui ou non tu es coupable. Sache que tous ici en sont malheureusement persuadés.

- Julie ? Est-ce que tu m'aimes ?

- Oui.

Elle déposa un baiser sur ses lèvres avant de quitter précipitement la pièce. Paul soupira...

Maintenant, il était de nouveau seul. Pouvait-il seulement imaginer en rencontrant Julie tous les malheurs que son statut engendrerait ? Il voulait se montrer digne d'elle mais il était pitoyable.

Alors il gémit. Plus les malheurs s'enchaînaient et plus son amour pour Julie se transformait en une haine viscérale qui l'envahissait tout entier.

***

- Donc, résumons : tu maintiens ne pas être l'As.

- Non.

- Mais ton alibi est assez faible. Tu dis avoir été chaque fois au casino et seul. Qui nous prouve que tu ne mens pas ? C'est facile comme excuse : cela explique tes capacités au Poker et pourquoi tu ne pouvais être dans les différents clubs. Même ta fiancée ne peut appuyer tes propos.

- Je sais. Malheureusement c'est l'unique vérité que je puis vous présenter.

- Les policiers ont mené l'enquête, tu sais. Mais ni l'ADN, ni un quelconque autre indice ne peut nous aider, ici.

Yves se tut un instant. Réorganisant un peu ses pensées. Exceptionnellement, c'était lui qu'on avait chargé de l'interrogatoire, Julie étant trop proche du coupable.

- Mais, poursuivit le policier. Nous avons eu une idée. Nicolas nous a dit que l'As te ressemblait vaguement. Nous nous sommes donc décidés à recouper cette information. Samuel Blet, imminent joueur de l'Ent-Ric's Poker, présent lors du premier coup, est ici pour confirmer ou non ton identité.

Paul eut alors une lueur d'espoir... Il se redressa et croisa les doigts sur la table.

Le témoin entra. Il s'avança dans la lumière jusqu'à se retrouver face à Paul. Il eut à peine un frémissement, l'observant scrupuleusement... Il lâcha :

- Il faudrait qu'on lui apporte des lunettes de soleil.

On fit comme il disait, empressés de satisfaire un si riche et si célèbre joueur. Il eut un petit rire méprisant.

Paul mit les lunettes avec comme un geste de dégoût et fixa Samuel Blet d'un air de défi :

- Alors ? Est-ce que je suis l'As ?

Sa voix était sèche et cassante, un brin provocatrice mais essentiellement fatiguée. Le joueur fronça des sourcils avec inquiétude. Il murmura :

- Oui, tu es l'As.

Et tous sortirent de la pièce.

***

Paul était resté silencieux et rêveur depuis leur départ. Quelque chose lui échappait... Se pouvait-il que l'As lui ressemblât à ce point ? Tristement, il s'était mis à tourner en rond dans sa cellule en se mordant quelquefois le poing pour masquer ses sanglots.

Puis ses sentiments muèrent en réelles vagues de colère. Il grinçait des dents et était parcouru de soubressauts terrifiants. Il en avait assez de subir les événements ! Assez qu'on se joue de lui comme un pantin ! Assez du mépris ou des passions qu'il inspirait alors qu'il n'avait demandé que la paix ! Cette fois c'en était trop et il aurait tout donné pour pouvoir sortir...!

Mais sa colère retomba lorsqu'il vit la porte s'ouvrir doucement. Il fut empli de curiosité et s'approcha...

Lorsque deux heures plus tard Julie entra dans la cellule, celle-ci était vide. Paul avait disparu. Paul s'était enfui.

Coup de PokerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant