XII

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Un tapis rouge, une malette ouverte pleine de jetons, le commissaire curieux assis dans un coin. Et tous les policiers amassés autour de la salle. C'était la pause du midi. On voulait voir jouer l'As. On voulait voir ce prodige et on était fier que cette scène ait lieu dans leurs bureaux.

- Yves, ordonna Nicolas. Tu feras le bouton.

Et devant son air sceptique, il précisa :

- Le donneur. Tu sais faire ?

- J'ai vu faire. Je me débrouillerai.

- Précision importante : les jetons n'ont pas de vrais valeurs monétaires comme dans un club ou dans un casino. Nous avons un crédit virtuel allant jusqu'à vingt-cinq mille francs. Mais il faut trouver un intérêt.

Ici, Yves intervint, pensif...

- Jusqu'ici nous avons refusé un tête à tête entre Julie - actuellement chez elle - et Paul. S'il gagne, nous le lui accorderons. Si nous gagnons, Paul nous dira tout. Êtes-vous d'accord ?

Les deux joueurs acquiescèrent. Paul avait le regard en feu et la gorge nouée. Ses mains tremblotaient d'anxiété et ses yeux brûlaient de terreur.

Nicolas jeta la blind. Paul suivit. On retourna les trois premières cartes en prenant garde à en brûler une à chaque fois. Un dix de cœur, un cinq et un roi de trèfle. Nicolas pinça des lèvres et misa une valeur de mille francs. Paul surprit cette mimique et sourit. Cinq mille francs. Ils s'échangèrent un regard. Paul baissa rapidement les yeux et parut absorbé par ses cartes.

On retourna une autre carte : un sept de pique. Nicolas relança avec sept mille. Paul s'enfonça dans son siège avec une mine soucieuse. Il relança de quinze mille.

Il y eut des murmures dans la salle. Il n'y prêta pas garde et s'absorba de nouveau dans ses cartes. Nicolas hésitait aussi... Certes ce n'était pas du vrai argent mais au stade où les mises croissaient, ils en viendraient très vite à faire tapis... Et cela, Nicolas se le refusait parce qu'on avait décidé de jouer en trois manches. Nicolas passa.

De nouveau, il y eut des murmures dans la salle. Paul avait gagné. En retournant ses cartes, on découvrit qu'il n'avait aucune combinaison et les murmures enfflèrent encore... Un bluff incroyable, digne de l'As. Nicolas avait une paire de sept.

À la deuxième manche, Nicolas remporta les mises - peu élevées en réalité - avec une jolie quinte. Paul qui avait suivi jusqu'au bout n'avait eu qu'une double paire.

À la dernière manche, Paul avait encore l'avantage. Il n'avait pas encore dépensé tous ses gains gagnés à la première manche. Nicolas joua la blind. Son adversaire suivit.

Le silence s'était fait de nouveau dans la salle. Tous avaient les yeux tournés vers le jeu mais les deux joueurs, perdus dans leur monde, ne voyaient que les cartes.

Nicolas appuya un long regard du côté des cartes de Paul avant de le tourner vers la pioche. On distribua les trois premières cartes et il y eut un nouveau murmure dans la salle : Yves avait retourné un huit de cœur, un roi et un as de carreau. Nicolas misa quatre mille francs. Il pestait intérieurement de ne pas avoir plus d'argent. Paul avait retrouvé un aspect amorphe. Il jeta négligemment six mille francs. Nicolas suivit en grimaçant un peu de se sentir si pauvre.

Parvenus à ce stade du jeu, les deux adversaires étaient tout entier pris dans la partie. Nicolas paraissait même avoir oublié sa vraie raison d'être ici : il avait comme un air furieux...

Mais quelqu'un entra et troubla les joueurs : Géraud s'excusa aussitôt en fermant la porte. Depuis qu'il avait refusé de poursuivre l'enquête, il la suivait avec d'autant plus de délectation !

On retourna une nouvelle carte... Nouveaux murmures... C'était un as de trèfle. Les deux joueurs eurent bien un léger frémissement mais rien de plus. Nicolas relança de sept mille. Il ne lui restait plus grand chose déjà. Paul joua quinze mille francs. L'œil éteint et vide. Nicolas suivit.

Une dernière carte fut retournée et cette fois, c'était un roi de pique. Nicolas fit tapis.

Son adversaire sursauta et coula un long regard intraduisible aux gains amassés sur la table. Ce n'était pas les millions que jouaient habituellement l'As mais cela faisait déjà une coquette somme.

En son cœur, le jeune prisonnier sentit un frisson de joie : il avait ses chances pour gagner et alors... Advienne que pourra mais il pourrait voir sa fiancée !

Tous avaient les yeux tournés vers lui. Allait-il renouveller un coup d'éclat ? Même le commissaire retenait son souffle. On voulait savoir ! La pendule avait pourtant sonner depuis longtemps la fin de la pause, mais qu'importe !

Paul jeta un dernier regard à ses cartes. Il adoptait maintenant une mine sûre de lui mais il se plaisait à faire patienter les spectateurs. Quelle combinaison avait-il ? Allait-il faire tapis ?

***

Julie somnolait sur son lit sans parvenir à trouver le sommeil. Elle avait bien saisi un livre mais ses yeux trop humides refusaient de lire la moindre ligne. Alors elle rêvait...

Malgré elle, ses pensées revenaient constamment à Paul... Elle se souvint de leur rencontre lors d'une soirée chez sa meilleure amie. Elle se souvint de ce qui l'avait frappée en le voyant la première fois : son maintien tranquille et apaisant. Sa mine confiante et douce... Il ne pouvait correspondre avec l'être passionné qu'était l'As. Ou alors, il lui avait joué un horrible double jeu, ce qui dénotait une personnalité troublante et odieuse.

Elle ne savait plus et était terrifiée... Comme une enfant, elle se replia sous sa couette pour pleurer de grosses larmes de crocodiles. Tristesse...

***

Et Paul fit tapis.

C'était le temps maintenant de retourner les cartes. Nicolas s'était mis à trembler... Il savait qu'on lui avait confié la mission de gagner pour que Paul puisse tout dire et il craignait pour lui-même.

Il retourna ses cartes : brelan de roi. C'était une belle combinaison mais il voyait dans le regard de Paul que celui-ci avait plus.

Ce-dernier retourna ses cartes... Brelan d'as ! Dans sa main, il tenait un as de pique et un deux de cœur. N'était-ce pas les deux cartes oubliées sous le pied de la chaise du club de l'Ent-Ric's Poker ?

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