XIX

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Un neuf de cœur ? On avait vu l'as, aussi assimilé au génie. On avait vu de multiples combinaisons comme la quinte flush royale et la paire d'as. Mais un neuf de cœur ! Décidément, l'As surprendrait toujours.

Julie tenait la carte dans sa main et l'observait sous toutes ses coûtures. Elle était anodine. Les motifs étaient simples et récurrents. Alors tout résidait dans la signification de ce neuf de cœur.

Elle se leva, attrapa son portable et vint se poster près de la fenêtre. D'ici, elle pouvait voir une rue animée. Des commerçants qui vendaient hauts leurs articles, des passants pressés, des klaxons... En se penchant sur la devanture d'un magasin, elle apperçut même une petite affiche portant la motion de l'As.

À petits gestes distraits, la jeune policière composa le numéro de Nicolas. Il répondit. Il répondit !

- Julie ?

- Tu ne nous as pas tout dit, Nico. Où es-tu ?

- Il y a un homme sur le banc près de la bouche de métro. C'est moi.

Elle le vit.

- Nico ? Si je descends, est-ce que tu m'attendras ?

- Oui.

- Si je vais au commissariat, tu me suivras ?

- Oui.

- Alors j'arrive.

C'était l'aube encore Mais Julie savait que son patron serait déjà là-bas. Elle retrouva Nicolas debout, rêveur, au milieu d'une foule de passants sortant de la bouche de métro et son cœur se serra.

Nico, célèbre. Et elle aussi, par ailleurs. Qui ne parlait pas d'eux dans tout Paris réuni ? Qui ne rêvait pas d'être l'As ? Qui ne souhaiterait pas en savoir autant que la jeune policière ? Elle savait que de nombreux articles tournaient sur eux deux et s'en effrayait. Son frère avait eu une bien étrange idée en jouant sa vie au Poker.

Ils prirent leur voiture et filèrent jusqu'au commissariat. Nicolas avait un visage neutre, quoiqu'un peu blême. Il se tenait droit, sa main posée sur sa cuisse. Et de sa place, un mince filet de sang coulait, rougissant la moquette. Il ne pipait mot.

À cette heure matinale, la jeune femme n'eut aucun mal à trouver une place. Ils entrèrent grâce au pass de Julie et avancèrent jusqu'au bureau du commissaire. Ce-dernier, surpris par cette visite nocturne, leur ouvrit la porte. Il sursauta en appercevant Nicolas et sa sœur.

- Nous pouvons l'interroger, informa la policière.

À gestes maladroits, son supérieur prépara un procès-verbal. Ils prirent place autour du bureau du commisaire...

- Il est rare que les interrogatoires aient lieu dans cette salle et à cette heure. Mais les vieilles habitudes sont faites pour être changées. Commençons. Contradisez-moi si je me trompe.

Nicolas acquiesça.

- Vous vous appelez Nicolas Vales. Vous avez dix-neuf ans. Vous êtes le frère de Julie ici présente. On vous connait aussi sous le nom de l'As et c'est d'ailleurs sous ce nom que vous auriez commis ces méfaits.

- Oui.

- Passons aux délits. On vous accuse de tricherie importante, de vol dans un Super-U et une banque, de corruption, de chantage et d'harcelement.

- Je vais prendre les délits un à un, vous permettez ? Réfléchit Nicolas en prenant une belle voix grave. Vous pensez que j'ai triché. Savez-vous seulement ce que c'est que la triche ? N'est-ce pas un peu de magie ? Est-ce que cela ne fait pas partie du jeu ?

- N'allez pas trop loin. La triche est la triche.

- C'est du bluff et non de la triche. Je suis innocent pour un point. Pour le vol, je ne considère point cela comme un délit non plus. Robin des Bois n'était-il pas perçu comme un héros par les simples de cœur ? Ma sœur vous dira que cet argent n'est point pour moi mais pour...

Une hésitation et un pincement au cœur...

- Un orphelinat. Je n'ai pas corrompu parce que l'homme me suivait déjà. Je n'ai pas fait chanter pour les mêmes raisons. Je n'ai pas harcelé parce que j'aimais ma sœur et que c'était du jeu.

- Pourquoi dites-vous cela ? S'étonna le commissaire. Ces délits sont clairement exprimés par la loi et vous avez largement dépassé les limites de ce qui se fait. Je retiens une chose dans vos paroles : vous n'avez pas nié avoir triché. Simplement exprimé que ce n'est pas de la triche mais cela ce n'est pas à vous d'en juger. Vous n'avez pas nié non plus avoir volé. Vous avouez donc que vous êtes coupable.

- Peut-on être vraiment bon sans casser des œufs ? La générosité n'est-elle réservée qu'aux riches ? Je voulais donner. Pourquoi me prive-t-on de ce droit ?

- Est-ce que vous comprenez seulement qu'en agissant ainsi vous avez privé d'autres innocents de leurs biens ? Vous avez pris à Pierre pour donner à Jean et vous vous croyez généreux ?

- J'ai travaillé pour cela.

- Comme un malfaiteur.

- Comme un génie.

Julie observait ce duel avec angoisse. Les deux hommes se lançaient les répliques à une vitesse inquiétante et chacun paraissait sûr de son fait. Nicolas était tranquille et ironique. Le commissaire était ferme et mordant. Le suspect paraissait abandonner peu à peu la partie mais son sourire cachait d'autres choses qui alarmaient la jeune femme. Nicolas connaissait sa force. Il n'était pas n'importe qui et jouait de son prestige. Il paraissait avoir deviné l'admiration secrète de son interrogateur et pourtant, loin d'en profiter, il baissait peu à peu sa garde.

- Un génie ? Répéta le commissaire. Ne vous surestimez-vous pas un peu trop ?

- Peut-être.

- Vous êtes jeune, mon garçon. Et je trouve dommage que vous soyiez déjà rendu à cette extrémité.

- Je ne suis pourtant pas si bas.

- Je sais l'estime que vous avez pour vous-même. Sachez cependant qu'il y a là de quoi vous inculper une grosse peine. Et que ferez-vous alors ?

Le jeune homme baissa la tête, adoptant un curieux air contri. Le commissaire l'observa en soupirant avant d'annoncer :

- Dans dix jours, vous serez jugé. Je vais préparer une cellule en attendant. Mais je vous préviens d'avance, je ne pense pas que vous échapperez à une condamnation.

Et Nicolas sourit doucement.

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