J'avais à peine dix-huit ans lorsque je mis le pied pour la première fois dans une grande entreprise. Celle de Weston North. Jamais je n'avais vu un endroit aussi blanc et aseptisé. Rien n'était dans le désordre, tout était méticuleusement soigné. Je l'avais remarqué bien que les apparences m'importaient peu. N'importe qui l'aurait remarqué, parce que c'était totalement volontaire.
Je vérifiai une dernière fois l'heure à mon poignet. À peine neuf heures. Comme convenu, j'étais venu à la première heure pour mon entretien, quitte à être en avance. Je voulais absolument travailler aux côtés de Weston North et je n'avais pas hésité à mettre toutes les chances de mon côté, peu importe ce que ça m'en coûterait. Pour l'instant, ça n'avait quelques heures de sommeil que j'aurais perdu de toute manière.
Weston North était un nom qui revenait souvent dans le milieu et ce n'était pas pour rien. Chacun avait son avis sur lui et à mes yeux, il était l'homme le plus expérimenté dans les affaires. Il savait s'exprimer à la perfection, pouvant s'attirer les faveurs de quiconque tout en les convainquant de lui accorder toute confiance. Je savais que j'aurais beaucoup à apprendre de sa part.
Une de ses nombreuses assistantes me conduisit jusqu'à son bureau. Elle était très séduisante. Toutes les femmes ici l'étaient : grande, blonde, fine, le physique rêvé de n'importe quelle mannequin. Il aimait embellir la réalité, quitte à n'engager des gens que pour leur physique. Ça n'avait rien d'étonnant. Au contraire, je trouvais ça plutôt admirable.
Elle partit, me laissant ainsi seul dans le bureau, ce qui me permit d'inspecter les alentours. Ce lieu était parfaitement à l'image de Weston : soigné, propre et presque austère. Le peu de meubles qui le composait aérait considérablement la pièce, ce qui atténuait leurs teintes sombres et oppressantes.
Weston ne tarda pas à entrer. Il était exactement comme on pouvait le voir dans les médias. Un petit vieillard toujours en costume grisâtre, des cheveux poivre et sel ébouriffés, et plus que tout, assez intimidant. D'ailleurs, la plupart l'ignoraient pour cette raison : parce qu'ils avaient peur. Mais la plupart ignoraient le potentiel qu'ils pourraient en retirer.
Aux premiers abords, il m'ignora. Je fis comme si ça ne me gênait pas et souris brièvement. Il se servit un verre de bourbon puis s'assit sur son fauteuil. Dans le plus grand calme, il but une gorgée et posa son regard sur moi. Il constata enfin ma présence sans montrer le moindre signe d'étonnement.
— Qui êtes-vous ? me demanda-t-il avec une légère pointe de dédain.
— Cole Triaghan, me présentai-je d'un ton calme et diplomate. J'ai postulé pour un travail dans votre entreprise. Vous avez dû recevoir–
— Je n'ai besoin de personne, me coupa-t-il sèchement.
Je connaissais son arrogance légendaire. Je m'y étais préparé. Au contraire, je le pris à mon avantage. Voilà quelque chose qui allait nous rapprocher.
— Vraiment ? Vous avez complètement besoin d'un assistant compétent, déclarai-je, sûr de moi. Quelqu'un qui saurait où les cadavres sont cachés.
— Qui vous dit que j'ai besoin de cacher des cadavres ? m'interrogea-t-il en baissant légèrement sa tête pour me déstabiliser sans pour autant me quitter du regard.
— Arrogance et alcool alors qu'on est neuf heures du matin, j'en dis que vous avez quelque chose à cacher et que vous ne faites pas les choses d'une manière très honnête, lançai-je après quelques brèves observations. Et j'ai cru apercevoir quelques-unes de vos cicatrices...
— Vous ne savez absolument rien, me contredit-il immédiatement d'un ton grave.
Je m'approchai de son bureau rempli de babioles a priori innocentes et sans réels intérêts pour quiconque. Au contraire, je les trouvais fascinantes et très révélatrices de sa personnalité.
— Vous avez un sablier, poursuivis-je de plus belle. Vous êtes fasciné par le temps. C'est une de vos priorités. Vous voulez que les choses soient faites dans les temps, vous détestez aussi le perdre et vous regrettez pas mal de moments dans votre vie. Ce trophée, ci-contre, ajoutai-je en le désignant d'un bref regard, sert à exposer aux autres que vous valez mieux qu'eux, qu'ils ne sont que des petites merdes. Le seul truc qui peut vous discréditer, c'est qu'il n'y a pas la moindre photo de famille sur votre table. La plupart penseront que vous n'avez pas de cœur. En particulier parce que votre mariage a été un échec.
Il me lança un regard noir, tentant de rester le plus intimidant possible. Néanmoins, un léger sourire se dessina sur son visage. Visiblement, j'avais vu juste.
— J'aime votre manière d'analyser les choses et aussi votre arrogance, commenta-t-il. Je vous engage.
— Je le savais, lâchai-je, fier, persuadé d'avoir accompli la plus belle chose de ma vie.
Il ne m'avait fallu qu'un entretien pour entrer dans le monde des affaires. Ainsi, j'avais pu en apprendre les ficelles par North, il m'avait aidé bien plus qu'il ne l'imaginait. En particulier, cinq ans après, lorsque j'avais récupéré son entreprise après sa mort.
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La Décadence des Flamants - Tome 3
RomanceCinq mois après les derniers évènements, Cole et Heather sont désormais mariés et sur le point d'avoir un enfant. Cependant, cet équilibre est très fragile et rien ne semble aller dans leur sens... ----------------------------------------------❥ [ T...