Café au lait, café noir

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Le lendemain, il la retrouve au mythique Café de la paix, tout près de l'Opéra Garnier. Le choix n'est pas forcément judicieux. C'est pompeux, bourgeois. Mais il n'en connaissait pas beaucoup d'autres endroits et il y fait chaud. Ils s'y sentent protégés de l'hiver et de l'agitation.

Timide et déterminée. Voilà ce qu'il a vu en elle. Drôle aussi. Jolie sans faille. Une proximité de quelques heures. Et cette frousse du lendemain qu'il n'a pas ressenti. Aucun doute sur elle. Que sur lui. Il a eu de l'impatience à la voir débarquer. Cette peur de la manquer. Mais elle est venue. Camille commande un café au lait et deux croissants. Affamée. Ian ne boit que du café noir. Nerveux. Ils se contemplent sans trop oser parler. Sans même trouver le silence pesant. Puis elle explose d'un grand rire décomplexée et se penche vers lui.

— C'est toujours aussi magique, n'est-ce pas ? fait Ian en rejoignant son rire.

Elle acquiesce. Elle regarde cet acteur américain aux cernes roses et au sourire prodigieusement envoutant.

— On a l'air débile aussi, commente-t-elle, mais ce n'est pas grave car que je me sens heureuse, précise-t-elle en s'étonnant de sa propre spontanéité.

Ian sent son cœur chaviré. Son honnêteté tranchante aiguise sa joie. Il a envie de la prendre dans ses bras.

— Moi aussi, finit-il par avouer.

Et ils se mettent à rire à nouveau.

— Ca va durer longtemps ?

— Je ne sais pas. Autant qu'on veut tous les deux.

— Tu es à Paris pour combien de temps ?

— Je ne sais plus. Ça dépend.

— De quoi ?

— De toi.

— Ça va vite, non ?

— Pas assez à mon goût.

— Un peu trop quand même.

— Alors on prendra le temps.

Il la regarde en silence quelques instants. Le teint pâle et les joues vermeilles. Le petit chaperon rouge de la veille s'est transformé en urban girl. Les lunettes en moins. Elle semble trimbaler toute sa vie dans son sac à dos, accorde un soin maladif à ne pas égarer ses gants. Une tough girl qui n'en est pas. Avec des accessoires de jolie fille et un accent charmant, fautes de grammaire incluses. Elle lui confie qu'elle sèche tous ses cours de la matinée, qu'elle en a suffisamment peu en semaine (elle fait son mémoire) pour que cela soit signifiant. Elle s'en moque un peu mais pas vraiment. Elle est nerveuse et détendue. Surprise d'être là, étourdissante. Elle vit seule, dans 25 mètres carrés, avec un répondeur téléphonique qui sature. Elle veut un chat qu'elle appellera ET. Elle veut un ordinateur portable pour taper son mémoire. Elle veut bien un autre café, oui, merci. Elle se demande pourquoi il ne porte pas de lunettes noires. Quel film il a préféré tourner. Comment c'est d'être connu. Pourquoi il est à Paris. Et elle dit qu'elle est désolée de ne pas vraiment le connaître en tant qu'acteur hollywoodien.

Et Ian frémit de se sentir tomber inéluctablement. Il n'est pas chez lui et se sent à la maison. Il la dévore des yeux, cachant l'envie de la toucher. Trois heures d'une découverte non-Stop dans cet endroit bien trop clinquant. Et quand ils s'embrasseront, cela ferait quel effet ? Il n'a pas faim, pas froid, pas chaud. Il n'a envie de rien sauf de ne pas la laisser s'évanouir dans la ville. Mais elle ne montre aucun signe d'évanouissement. Elle est là, bien présente, près de lui. Elle sera toujours là, bien présente, près de lui, non ?

La seule chose qui lui importe au mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant