La seule chose qui lui importe au monde

Un tout petit acteur de seconde zone qui a simplement vaguement réussi

Une semaine de détente, pensait-elle. Une semaine ou plus. Après tout, elle était aussi chez elle ici, non ? Bien sûr, les choses n'étaient pas aussi idéales qu'elle l'avait espéré. Le retour de la fille prodigue n'avait pas vraiment eu lieu. Passée la surprise de son arrivée, son père et ses sœurs avaient repris leur quotidien sans vraiment la ménager. Mais ici au moins, elle ne se sentait pas désespérément seule, même si elle était désespérément déprimée et ça se voyait. Levée tard, petit déjeuner quand les autres travaillaient, télé toute l'après-midi, repas du soir un peu décalée et insomnie de la nuit. Rien de génial. Un autre quotidien bien à elle et pas très riche. Tout sauf riche.

Une heure de l'après-midi. Elle est en pyjama devant un café à la table de la cuisine. Annabelle rentre du lycée, la trouve inactive, soupire.

— Je pensais que tu dormirais encore, lance-t-elle ironiquement. Y'a du progrès.

Camille ne relève pas. Elle lève à peine les yeux. Visage décomposé de fatigue, pâle, tellement pâle et pas du tout joli à regarder.

—Tu vas rester longtemps comme ça ? demande sa sœur.

— Comme quoi ?

— A rien faire de tes journées, à traîner.

— Peut-être. Ca te dérange ?

Annabelle hausse les épaules, décide de manger sans se préoccuper d'elle. Pain, fromage, verre de coca, elle s'attable face à Camille et commence à grignoter. Elle dit :

— Tu sais, je ne te comprends pas vraiment. Je ferai n'importe quoi pour être ta place et toi, tu ne profites même pas de ce que tu as.

— De quoi tu parles ?

— Écoute, je sais que tu es ma sœur et que je ne devrais pas te dire ça. Mais je t'ai toujours admirée, toi. J'ai toujours trouvé que tu étais belle, que tu avais plein de talent, une jolie personnalité, que tu faisais des choses que je n'osais pas faire et qu'en plus, tu étais plus âgée. Mais là, franchement, je ne t'admire plus beaucoup.

— Désolée de te décevoir, maugrée Camille.

— Mais fais quelque chose, réagis. Tu as la chance de vivre depuis 3 ans, toute seule, à Paris, d'être à la fac, de faire ce que tu veux quand cela te chante, de rencontrer des gens. Et toi, qu'est-ce que tu fais de cette chance ? Rien. Tu viens t'enterrer à Bordeaux. Tu perds du temps, Camille, tu perds un temps précieux.

Camille se tait, allume une cigarette, inhale lentement la fumée.

— Annabelle, j'apprécie ce que tu essaies de faire. Mais ce n'est pas la peine. Tu ne peux pas comprendre.

— Non, bien sûr, je ne peux pas comprendre. Tu vis des choses trop profondes pour moi, c'est ça ? Mais arrête un peu de te croire supérieure à nous. Tu ne vois pas que nous avons tous changé ? Moi, je ferai n'importe quoi pour être à ta place en ce moment. J'aimerais vraiment en avoir fini avec ce putain de lycée, j'aimerais partir, comme toi.

— Ah oui, tu veux partir, faire des études, aller à la fac. Très bien. Mais pour faire quoi, précisément? Faire un mémoire, préparer le CAPES, devenir prof ? Génial

— Mais la recherche ? Et ton envie de faire une thèse ? Tu as toujours dit que tu te voyais chercheuse au CNRS ou des trucs comme ça ! Qu'est-ce que tu en fais maintenant ?

— Je n'y croies plus, Annabelle.

— Mais bon dieu, c'est maintenant que tu dois y croire plus que jamais. Après ce sera trop tard pour simplement essayer. Je ne comprends pas comment tu fonctionnes, mais moi, si j'avais rencontré un tout petit acteur de seconde zone qui a simplement vaguement réussi, ça m'aurait donné la foi. J'y aurais cru comme jamais. Lui, Ian, il a réussi dans sa voie. Toi aussi, tu peux. Tu dois essayer en tous les cas.

Camille regarde sa sœur. Jour nouveau. Elles ont grandi, les petites demoiselles. Annabelle surtout. C'est normal. Camille se lève.

— Tu sais quoi, dit-elle, je crois bien que tu as raison.

— Mais je sais que j'ai raison, lance Annabelle en riant. Tu vas où ?

— Je vais faire les courses, répond Camille en route vers la salle de bain. Ce soir, ajoute-t-elle joyeusement, c'est moi qui fais à manger !