NYC, 24 janvier de I'Ère glaciaire

45 9 0
                                    


— Bla bla bla et bla bla bla bla bla.

Elle pense « pourrait-il s'arrêter de parler ainsi ? » et détourne aussitôt les yeux vers un ailleurs bien trop vague pour être véritable. Tom hausse les épaules. Plusieurs semaines que Ian est parti et qu'elle déprime sans même oser l'admettre.

— Camille ?

Elle lève les yeux vers lui, en face de la table.

— Hum?

— Si je t'ennuie, je peux m'en aller.

— Qu'est-ce que tu racontes ?

— Je vois bien que tu n'es pas avec moi. Tu es où au juste ?

Elle soupire.

— Si je le savais moi-même...

— Tu as des nouvelles ?

— Quoi ?

— Ian. Tu as eu des nouvelles de lui ?

— Avant-hier. Il va bien. Je crois que son retour à New York lui fait plus plaisir qu'il ne veut l'admettre.

— Qu'est-ce que tu racontes !

— Non, c'est vrai. Je le sens. Il ne veut pas me blesser mais je le sens très bien.

— Si tu le dis...

— Franchement, est-ce que je dois m'inquiéter ? Tu le connais bien. Est-ce que je dois avoir peur ?

— Arrête tes bêtises. Il n'arrivera rien. Il va travailler et puis revenir. Et avant même que tu aies eu le temps d'y penser, il sera de retour.

— Ça ne se passera pas comme ça.

— N'en fais pas trop dans le désespoir. Si tu te montres faible, il va détester. Amoureuse, oui mais jamais faible. Ou pas trop souvent.

— Tu as compris ça, toi aussi ? Mais j'ai du mal, tu sais.

— Et tes résolutions et toutes ces choses que tu devais faire en son absence...

— Mais je les fais. Je fais plein de trucs. J'en fais tellement que je me demande comment je fais pour le supporter. Mais quand le soir vient, que je branche ma télé et me fais à manger, j'ai comme envie de vomir. Ca ne marche plus de brasser l'air comme ça.

— Ça va passer. Je te promets que ça va passer. Et puis tu sais ce qu'on va faire ce soir ?

— Quoi ?

— On va sortir. On va traîner d'un bar à l'autre, on va parler à des tas d'inconnus et on va boire et boire et boire. Tu verras, ce sera drôle.

— Tu crois ?

— J'en suis sûr. Allez viens, habille-toi, maquille-toi et suis-moi dans l'enfer de la nuit Parisienne.

« NYC, 24 janvier de I'Ère glaciaire.

Attablé dans une sorte de café à l'européenne vaguement raté, je m'essaie à la lecture d'un script niais mais ne peux m'empêcher de penser à la cambrure de tes reins. Il me semble que cette pensée s'est incrustée en moi alors que, pour les besoins d'une scène, je serrais une jolie petite actrice blonde dans mes bras. Mes bras n'étaient pas à leur place. C'est un peu ce que je ressens d'une manière générale. Je ne suis pas à ma place. Est-ce à dire que tu me manques ? Tu me manques, toi et la cambrure de tes reins. Il fait froid, Les gens portent des chapeaux idiots et moi je mets des gants rouges. J'ai retrouvé cette putain de ville, rien n'a changé. Je ne me souvenais pas du bordel que j'avais laissé dans mon appartement en le quittant. Dire que j'avais eu le dégoût de simplement penser à le ranger, ça me sidère.

Dis, qu'est-ce que tu fais de tes journées sans moi autour pour t'embêter ? J'ose à peine espérer que je te manque suffisamment pour trouver ces journées vaguement insipides. Moi, j'ai beau m'agiter dans tous les sens, je ne parviens pas vraiment à me sentir au moins occuper. Je me lève tôt, je me couche tard. Le tournage, c'est presque du non-stop. Il y a juste ce premier jeudi de repos. Je n 'ai pas de scène et j'ai demandé à sécher aujourd'hui. Je voulais en profiter pour commencer à faire des affaires mais je n 'ai réussi qu'à faire du shopping à Soho pour toi et tes beaux yeux. J'espère que cela te plaira. C'est vestimentaire et intellectuel. Ça se regarde et ça se touche. Enfin, tu verras bien.

Je pense à toi tout le temps. Tu es comme au-dessus de ma tête en permanence. Le seule truc, c'est que je ne peux pas te parler, pas te toucher, pas te voir. C'est frustrant. Terriblement. Je pense à l'instant que je n'ai jamais écrit de lettre d'amour. Tu dois être un peu déçue au fond et moi-même je ne sais pas si cette lettre en a les tournures ou l'aspect. Je ne connais pas les principes de ce genre particulier. Je ne suis pas aussi lettré que toi, ma belle, et ça me frustre, ça aussi. Ne m'en tiens pas rigueur, je t'en supplie. Il me faut juste de la pratique et tu m'en donnes l'occasion.

Ma vie ici s'étiole. Tu dois certainement imaginer le contraire, moi qui suis dans la ville la plus agitée de la galaxie. Mais c'est tristement vrai. Je tourne un film "aquatique" dont je n'espère rien, même si l'équipe du film est jeune, sympa, talentueuse et que le réalisateur est mon ami. Aquatique parce que plein d'eau, pour ne pas dire de larmes. Ma girl friend est de l'autre côté de l'Atlantique et toute cette eau entre elle et moi... Y'a de quoi se noyer, tu ne crois pas ? Ne m' appelle pas, Camille, ça va te ruiner. Tu n'as même pas assez d'argent pour te nourrir correctement. J'ai peur de retrouver un petit squelette en rentrant. Et dieu sait que j'aime tes petites formes ! Tu dois me prendre pour un salaud (je t'entends ronchonner, ne mens pas) mais ce que je viens de mettre en mots ci-dessus ne signifie pas que je t'aime exclusivement pour ta jolie poitrine ou le creux de tes reins. Je dirais plutôt que je t'aime aussi pour ça. C'est sexuel, mais j'en ai le droit, non ? Il faut vraiment que tu apprennes à t'aimer à ta juste (et très grande) valeur parce que je ne t'aime pas seulement. Je crois aussi en toi.

Je te laisse pour poster très vite cette lettre. J'espère qu'elle aura l'effet escompté : te rappeler que j'existe et qu'il ne faut pas que tu l'oublies. Ce serait criminel, tu entends ? Je t'embrasse, ma fée, et plus bien sûr. Ecris-moi, vite, vite, très vite. Ian. »

Une lettre du bout de son monde. Une parmi quelques autres. Mais ce n'est pas assez, jamais assez. Elle erre en traînant une vie à nouveau famélique, bien que trop remplie. Pas de temps. Jamais de temps. Juste l'espoir qu'aujourd'hui il va peut-être appeler, qu'elle va trouver un message sur son répondeur. Mais ce n'est pas assez. Jamais assez.

La seule chose qui lui importe au mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant