Horreur du temps. Quand au bout de trop longtemps, elle n'a plus de nouvelles. Une foutue semaine de février, au plus fort de cet hiver qui n'en finit pas de congeler son cœur. Pas de lettre, aucun message téléphonique sur son répondeur. Il est minuit, elle a envie de pleurer dans ce lit glacé, dans cet appartement si calme et si rangé. Pas volontairement calme et rangé mais plutôt comme si elle n'y vivait plus. Les choses ne changent pas de place, elle se fait à peine à manger et porte presque en permanence les mêmes vêtements déprimants, un jean noir, un gros pull. Elle se couche, se réveille, part à la fac ou ailleurs et sa vie tourne autour de sa boite aux lettres et de son téléphone. En vain. Deux heures du mat'. Pas de sommeil. Les livres, la musique, rien n'y fait. Elle sort de son lit, se dit qu'une petite balade dans le quartier la détendrait un peu. Mais rien. Toujours rien. Trois heures. Elle allume le portable, rédige quelques paragraphes de son mémoire, se plonge pour la centième fois dans quelques pages du script qu'il lui a envoyé comme en otage, mais se meurt d'ennui dans le fond de cette nuit. Elle fixe le téléphone, n'en attend plus rien et se désespère. Puis n'y tenant plus, au-delà de ce que pourrait coûter cette communication transatlantique à une période de sa vie où elle ne la gagne pas, elle se saisit du combiné et compose un numéro tout nouveau, là-bas, au-delà de l'océan. Son cœur s'emballe, elle sent l'émotion lui creuser le ventre et son souffle devenir court. Première sonnerie, deuxième sonnerie. Clac. Répondeur. Elle n'en revient pas. Il n'est même pas chez lui. Elle a envie de jeter le combiné contre le mur mais se retient et consent à laisser un message sur cette odieuse machine.
« Salut. C'est moi. Il est 4 heures du mat'. J'arrive pas à dormir. Je voulais entendre ta voix mais manifestement tu n'es pas là. l'espère que tu n'es pas mort ou quelque chose comme ça. Si tu pouvais prendre 5 minutes pour donner signe de vie, ça me ferait pas mal plaisir. Bye. »
Elle raccroche, se sent immédiatement immonde. Mais au fond, elle sait qu'elle n'était que pathétique et s'endort enfin. Son amour pour lui est aussi grand que le désastre dans sa tête. Chacun se bat avec de faibles armes en espérant assassiner l'autre. Ce combat l'a épuisée tout compte fait.
Quand le téléphone finit par retentir, elle était au fond d'un rêve angoissant mais pas plus cauchemardesque qu'à l'habitude. Elle tend le bras vers le téléphone et décroche rapidement.
- Allô ?
- Tu avais fini pas t'endormir. Désolé de te réveiller.
- Ian ? C'est toi... Merci d'appeler. Désolée pour le message odieux que je t'ai laissé. M'en veux pas.
- Ne t'excuse pas. Je voulais t'appeler depuis longtemps et puis jamais le temps, jamais le bon moment. Je travaille beaucoup et puis j'ai la grippe aussi et il fait si...
Camille l'interrompt, au bord d'un précipice qu'il ne pressent pas. Elle dit :
- Tu me manques.
Silence de l'autre côté de l'Atlantique. Suspendue à ce silence, Camille attend. Mais rien.
- Ian ? Tu es là ?
- Oui. Excuse-moi. Je...
Mais il s'arrête. Camille ne comprend pas.
- Qu'est-ce qui se passe?
- Je t'aime, Camille. Tu me crois, n'est-ce pas ? Tu me crois toujours ?
- Mais oui, je te crois et je t'aime moi aussi. Pourquoi tu es si bizarre ?
- C'est cette ville, ça me rend fou.
- Qu'est-ce qui cloche ?
- Les gens, Camille, tous ces gens...
- Ferme les yeux, n'y pense plus...
- J'ai revu Laurie, finit-il par lâcher.
Silence d'une tonne et demi. Comme il pèse sur les épaules de Camille, ce silence. Elle finit par demander :
- Et c'est pour ça que je n'avais plus de nouvelles ?
- Non, je voulais t'appeler. Je te jure, c'est juste que... J'ai tellement de choses en tête.
- Tu as revu Laurie et quoi d'autre ?
- Rien. Rien d'autre. Je l'ai revue, c'est tout.
- Tu l'aimes encore, c'est ça ?
- Non, enfin, je ne sais pas. Ça m'a fait drôle de la revoir c'est tout.
- Tu l'as trouvée merveilleusement blonde, merveilleusement belle et tu te demandes ce que tu vas pouvoir faire de tes sentiments pour elle, c'est ça ?
- Camille, soupire-t-il, n'exagère pas. Ce que je crois, c'est que...
- Mais réponds-moi, coupe-t-elle, tu l'aimes, n'est-ce pas ?
- Ce n'est pas comme ça que...
- Est-ce que tu l'aimes oui ou non ? C'est pas compliqué. Est-ce que tu aimes encore ta femme ?
- Mais pourquoi tu réagis aussi violemment ?
- Et pourquoi tu ne dis pas la vérité ?
- Mais quelle vérité, putain ? Ta vérité à toi ? Toujours si tranchante, jamais de demi teinte. Bon dieu, avec toi, personne n'a le droit à l'erreur. La moindre défaillance et c'est la guillotine. Tu n'en as pas marre d'être comme ça ?
- Tu as couché avec elle ?
- Mais laisse tomber !
- Tu me déçois, Ian, si tu savais comme tu me déçois.
- J'en suis bien désolé mais c'est comme ça.
- Bon très bien. Le jour où tu regarderas la vérité en face, fais-moi signe. Mais en attendant ce grand jour, il vaut mieux qu'on s'arrête là.
- Parfait. Mais ça ne va pas être bien difficile vu qu'on n'a pas commencé grand-chose tous les deux.
Clic. Il a raccroché. Elle laisse tomber le combiné sur le carrelage puis s'enfouit à nouveau sous la couette quelle n'aurait jamais dû quitter. Ce n'est que plus tard, bien plus tard qu'elle s'est mise à pleurer. Et rien n'a pu la calmer.
VOUS LISEZ
La seule chose qui lui importe au monde
RomanceCamille a 21 ans. Elle vit à Paris, étudie la chimie et ne sait pas dire à quoi la vie la destine. Un soir de novembre, elle croise le chemin de Ian. Américain de nationalité, acteur de profession, célèbre de statut. Aussi différents soient-ils, le...