- Je viens de passer la journée avec une fée.
- Pardon ?
Tom regarde Ian, affalé sur son canapé. Il a son air mystérieux et enfantin. Celui que fixent les caméras depuis plusieurs années et pour l'éternité. Cela pique sa curiosité.
- Une fée de cette terre ?
- Oh, je n'en suis pas sûr. Une jeune personne de 21 ans printemps, délicieux accent, propos enrichissants.
- Jolie ?
- Oh, oui.
- Et ?
- Je voudrais déjà être à demain.
- Tu vas la revoir ? fait Tom surpris.
Son ami a tellement pris le plis de ses conquêtes d'un soir, d'un mois. Ces filles qui feraient le bonheur du gars normal qu'il est mais que Ian consomme.
- Oh que oui ! Et je ne vais pas me contenter de la revoir. Je lui ferai aussi deux ou trois bébés dans les 15 prochaines années.
- Tu plaisantes ?
- Jamais été aussi sérieux, Tom. Tu verras.
La chute, pour Camille, est plus brutale qu'elle ne le voudrait. Son répondeur ne fait que vomir des messages désagréables. « Camille ? C'est moi. T'es où ? Tu me rappelles ?. » « Camille ? Toujours pas là a priori. Mais tu es où, bon dieu ! Tu ne veux pas décrocher ? Bon. Tant pis. Rappelle- moi, s'il te plaît. « « Camille ?...non rien. »
Camille pose manteau, écharpe et gants et s'effondre sur son lit. Une pause. Une petite pause. Elle pense à Pierre et aux petites semaines passées. Elle n'a pas besoin de penser à Ian. Il est tout entier en elle. Mais déjà on sonne, elle ouvre la porte et Pierre est devant elle. Elle dit :
- Salut. J'allais t'appeler.
Il ne sourit pas, se penche tout de même pour l'embrasser. Pierre est un jeune archi. Il est blond, grand. Elle le connaît depuis dix mois, est avec lui depuis huit semaines. Il y a un jour, encore, il était tout ce qu'elle espérait de lui. Mais aujourd'hui, elle voudrait que tout soit déjà terminé. Il dit :
- J'ai attendu ton coup de fil toute la journée.
- J'allais t'appeler. Ça va ?
Il se pose sur son lit. Elle va faire chauffer de l'eau dans la cuisine. De là-bas, elle demande :
- Un thé ?
Pierre ne répond pas. Mais doucement, la rejoint dans la cuisine. Il demande :
- Qu'est-ce que tu as fait aujourd'hui ?
Camille ne le connaissait pas si curieux. Elle pense « il sait. »
- Je me suis baladée. Il faisait beau. Froid mais beau.
- De 10 heures du matin à maintenant ?
- Oui. Presque.
Camille essuie deux tasses posées sur l'évier. Elle ne peut pas empêcher ses mains de trembler. Elle n'a jamais été très douée pour ces situations compliquées. Et tout avec Ian est déjà si limpidement simple.
- Pierre ?
Il est accoudé au bar américain de la petite cuisine. Comme ailleurs, il feuillette un magazine.
- Hum ?
Trois milles mots à la seconde. Ils défilent, ils défilent mais pas un son ne sort.
Elle dit :
- Un sucre ?
Pierre acquiesce. Camille verse le thé plonge un sucre. Sa main tremble moins. Elle s'est repris.
- C'était bien, ta soirée hier ?
- Pardon ?
- J'ai appelé Suzy, comme je n'arrivais pas à te joindre.
Ca y est, le désastre. Camille vient de renverser le thé. Le pull de Pierre est tout tâché. Elle se précipite pour éponger. Mais il l'en empêche.
- Laisse, ce n'est rien.
Avec un bout de Sopalin, il s'évertue à quelque peu réparer la maladresse. Mais très vite, il abandonne. Il se moque de ce pull, de ces tâches, de ce thé. Il relève les yeux vers Camille. Elle éponge le bar.
- Camille... Si tu voulais bien me dire la vérité... Je préférerais.
Elle pousse un petit soupir puis finalement repose l'éponge dans l'évier. Elle sait qu'il a raison, que c'est loin d'être un con, qu'il mérite au moins cette franchise-là. Mais c'est dur à faire tout ça, dur d'être face à quelqu'un de si compréhensif soudain.
- La vérité, c'est que... que j'ai rencontré quelqu'un hier soir.
Pierre baisse les yeux, frappe légèrement le poing sur le bar. Une tasse vacille, s'écrase sur le carrelage. Mais aucun des deux ne se baisse pour ramasser les morceaux.
- C'est tout ? demande Pierre.
Elle acquiesce. Oui, c'est tout. C'est tout ce qu'elle peut en dire. Que dire d'autre sans mentir ?
- Je le connais ?
Camille secoue négativement le menton. Il
répète :- C'est qui ?
- Tu ne le connais pas. A quoi ça servirait ?
- Tu as passé la nuit avec lui ?
- Non.
- Et tu étais avec lui aujourd'hui ? Vous avez couché ensemble ?
- Oui mais non.
- Mais alors quoi ? Qu'est-ce que tu veux ?
Camille baisse le regard. Elle éprouve de la compassion pour Pierre. Elle ne peut pas penser qu'elle fait cela à la légère.
- Je suis désolée Pierre, mais je crois que je suis amoureuse.
Un ange passe. Mais pas vraiment. Pierre sent son regard vacillé.
- Mais tu n'as pas le droit, s'insurge-t-il soudain, j'ai mis des mois pour que tu me remarques seulement. Et lui, en une journée, il t'enlève ?
- Je suis désolée, répète Camille, je suis sincèrement désolée.
Pierre cherche son regard quand le téléphone se met à sonner dans l'appartement. Une sonnerie, deux. Camille ne bouge pas. Clac. Le répondeur se met en marche. Pendus à la voix qui envahit soudain l'appartement, Pierre et Camille ne peuvent cesser de se regarder dans les yeux. "Hi! Camille ? What a sweet voice... Even on this machine. The sweetest voice of this world. Call me back, please. I just wanna make sure you're okay...You know I worry about "l'heure du crime". Ok ? Hear you later ! »
La voix se tait. Dans l'appartement, un nouvel ange passe. Puis Pierre demande :
- C'est donc vrai cette histoire d'acteur américain.
Camille acquiesce du menton. Son visage d'une pâleur de vestale éblouit quelque peu Pierre qui a le sentiment de la regarder pour la toute première fois.
- Il est américain et déjà amoureux, non ?
Camille a envie de dire : « J'espère. Oui, j'espère que tu as raison. » Mais bien sûr, elle se tait. Pierre s'écarte du bar, va chercher son manteau, l'enfile. Il cherche son regard, veut ses yeux dans ses yeux. S'il te plaît, Camille ! Elle s'approche de lui, le raccompagne à la porte puis doucement, si délicatement, le serre dans ses bras. Pierre blottit son visage contre son épaule. Il est triste et triste et elle le sent. Il demande :
- Je pourrais t'appeler encore quelques fois ? Juste comme ça...
- Bien sûr, murmure-t-elle sincèrement.
- Je sais que tu ne m'appartiens pas, admet-il. Mais c'est dur.
Et puis il consent à sortir de sa vie avec plus d'élégance qu'il ne s'en saurait cru capable.

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La seule chose qui lui importe au monde
Storie d'amoreCamille a 21 ans. Elle vit à Paris, étudie la chimie et ne sait pas dire à quoi la vie la destine. Un soir de novembre, elle croise le chemin de Ian. Américain de nationalité, acteur de profession, célèbre de statut. Aussi différents soient-ils, le...