La seule chose qui lui importe au monde

Un juste milieu

Lui dire. Tout ce qu'il sait déjà, tout ce qu'il faut qu'il sache encore. Tout lui dire. Tuer le mystère peut-être. Prendre ce risque. Mais merde, ce type avait transcendé sa vie, oui ou quoi. Lui écrire si les mots ne venaient pas. Prendre un stylo, du papier. Et là voilà, à trois heures du matin, dans cette cuisine nouvelle, à écrire dans la demi pénombre alors qu'il dormait enfin le visage au creux d'un oreiller. Du français quand les pensées étaient trop subtiles pour la langue de la vie de son amour, du français en espérant qu'il comprendrait de toute façon parce que le langage n'est pas tout, n'est-ce pas ?

Au matin, il tomba sur ce qui semblait être un mot pour lui. Il lit d'abord parce que cela commençait par « Ian ». il lit ensuite par pure curiosité pour cette petite écriture aux formes graphiques si peu anglo -saxonne mais tellement européenne, il lit enfin tout court. Cela disait globalement qu'elle n'avait pas toujours été ce qu'on appelle une fille bien, qu'elle avait menti, triché, sali, que c'était presque devenu une deuxième nature. Qu'elle avait ensuite essayé de se blanchir à nouveau, excluant tous les « vices » de la vie, si ce n'est les cigarettes. Mais qu'à présent, elle se sentait aussi peu proche de la virginité que de la souillure. Elle était avec lui et c'était un juste milieu. Pourrait-il pardonner sa franchise ? Y'avait-il quelque chose à pardonner ? Quoi qu'il en soit, elle l'aimait et elle allait se recoucher auprès de lui.

A pas lents, Ian retourna dans la chambre. Pas lents comme cette petite larme qui liquéfiait sa joue gauche. Pas lents comme le rythme de son coeur au bord du sommeil ou de la sagesse. Dans le lit, elle dormait, dans la même position de chat. En boule. Ian se déshabilla complètement et vint s'incruster dans le mouvement de son corps endormi. Deux parfaits jumeaux qui ne faisaient plus qu'un sous le drap. Tant est si bien que lorsque le désir gronda en lui et qu'il glissa ses mains sur ses seins, elle était déjà éveillée et excitée. Lorsqu'il la pénétra, Ian eut la sensation de ne prolonger qu'à un ultime degré leur gémellité. Il s'activa doucement, dans un léger mouvement de reins tout en caressant sa poitrine. Camille bougea à peine. Seule l'expression de son visage sembla se modifier. Elle était comme dans un rêve de chat. Ce n'était pas la peine d'écrire ces phrases, voulut-il lui dire. Ce n'était pas la peine mais ça l'avait touché et apaisé.

Se réveiller à nouveau. Sentir une main posée sur son épaule. Une petite main avec des petits doigts. Combien de réveil comme celui -là méritait-il ? Combien y'en aurait-il ?

Ian se retourne vers elle, regarde son visage endormi. Quelle heure pouvait-il bien être ? Combien d'heures avaient-ils pu dormir ? S'en moquer... Laisser le sommeil l'envahir à nouveau... Mais non, c'était trop beau.... Coups de sonnette répétés à la porte. Il reste immobile. Ils vont sans doute abandonner. Mais non, la sonnette continue et réveille Camille.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu ne vas pas ouvrir ?

Ian sourit, se penche pour l'embrasser sur le front et se lève en un seul bond. Il enfile un jean et fonce vers la porte.

— Laurie ?

Mais qu'est-ce qu'elle venait faire là ?

— Bonjour, mon ange Je suis venue voir ce que tu devenais vu que tu ne réponds même plus au téléphone.

Irruption sans préavis, directement dans le séjour à tourner et retourner dans la pièce.

— Mais Laurie...

— Je te réveille ? Je vois que rien ne change... Il est plus de deux heures de l'après-midi. Tu sors manger quelque chose ? Tu ne dois rien manger...

— Laurie...

Camille apparaît sur le pas de la porte de la chambre. Ses yeux sont encore tout endormis mais ils n'en sont pas moins surpris.

— Oh, fait Laurie... Je ne savais pas que... Tu prolonges ton séjour à New-York, Camille ?

Silence. Camille finit pas répondre un inaudible Bonjour plus s'éclipse à nouveau dans la chambre. Laurie hausse les épaules puis se retourne vers Ian.

— Je crois que je te dérange, tousse-t-elle.

Ian soupire.

— Tu peux me dire ce que tu fais ici ?

— Je viens rendre visite à mon ex-mari et néanmoins ami. Ça te choque ?

— Laurie, sérieux, qu'est-ce que tu es venue foutre ici ?

— Oh laisse tomber les menaces. Je sais bien avec toi que dès qu'on ne couche plus ensemble, c'est comme si on ne se connaissait plus. Tiens, tu devrais peut-être mettre ta nouvelle fiancée au courant !

— Laurie, on a été plein de chose mais on n'a jamais été des amis. Et maintenant, s'il te plaît, tu veux bien nous laisser ?

— Alors tu me vires ?

— Je ne t'ai pas invitée à venir. Sois gentille.

Quand Laurie fut enfin partie, le silence régna à nouveau dans l'appartement. Pour le briser, Ian brancha la radio, s'activa à la cuisine pour préparer à manger. Mais chacun de ses gestes, il le savait, étaient empreintés. Il jouait à agir. Dans l'attente. Camille finit par le rejoindre. Elle était complètement réveillée à présent et plutôt souriante.

— Pour une beauté glacée, elle est plutôt hystérique, commente-t-elle.

— Oui. Je sais. Excuse-moi pour tout ça.

— Ce n'était pas ta faute.

— Si. Un peu..je..je n'ai jamais su rompre comme il faut... Avec elle en tout cas.

— Mais tu ne m'as pas dit qu'elle t'avais trompé ?

— Ce n'était pas une cause de rupture pour elle. Elle m'expliquait que sa passion pour moi et pour cette femme était différente. Elle voulait les deux, ne pouvant choisir.

Camille cala ses fesses sur un des hauts tabourets de la cuisine et accepta la tasse de café qu'il lui tendit.

— Tu ne m'en as jamais parlé comme ça, remarqua-t-elle.

— Peut-être que non. Je ne voulais pas te faire peur, je pense.

— Au contraire. Elle ne me fait plus peur. Je la trouve plutôt humaine à présent. Humaine mais hystérique, précisa-t-elle en souriant.

— Et toi, qui es-tu pour me laisser des mots étranges au milieu de la nuit sur la table

de la cuisine ?

— Oh, tu l'as trouvé ?

— Je ne sais pas si j'ai tout compris mais j'ai aimé. Même en anglais, tu as du talent !

— Ce n'était pas un effet de style, dit gravement Camille.

— Je le sais bien ! Ce soir, on va à une party, tu veux bien ?