À l'extrême nord, dans les terres les plus froides d'Angard.
Le prince Albaran Ürtz avait depuis longtemps quittait son palais, et il marchait maintenant depuis plusieurs jours à travers d'interminables plaines blanches immaculées. Jusqu'à présent, ni les vents violents ni la neige épaisse ni la faim insidieuse ne l'avaient ralenti, et il gardait inlassablement le cap vers le sud.
Albaran s'arrêta quelque instant pour reprendre son souffle, chacune de ses longues expirations produisait un nuage de buée qui se transformait instantanément en un agrégat de cristaux. Le prince scruta le paysage opalin, paisible et silencieux, puis se retourna pour fixer au loin les immenses pics englacés qui dominaient de vastes plateaux entrecoupés par de larges vallées glaciaires, mortelles pour quiconque n'était pas né au royaume d'Hantera.
Le jeune homme enfonça une main dans sa pelisse faite d'une fourrure de renne très dense, sortit une gourde en cuir, puis prit tout son temps pour se désaltérer. En laissant divaguer son regard sur les alentours, il remarqua quelque chose.
« Qu'est-ce donc ces traces ? », se demanda Albaran en avançant dans la poudreuse d'un pas sûr et souple.
Quand il fut arrivé là où il le voulait, le jeune homme s'agenouilla puis examina la neige. Il y avait de nombreuses empreintes de loups. Albaran fit glisser ses doigts le long des profondes marques laissées dans la neige par les puissantes griffes des fauves, et médita. D'après les traces, il s'agissait d'une meute d'au moins dix individus, et tous étaient de gros spécimens.
Soudain, des hurlements lointains firent relever le prince d'Hantera. Les loups l'avaient pris en chasse. Il le savait.
Albaran regarda le ciel limpide et prit une profonde inspiration. Sa décision était prise, il attendrait que la meute vienne à lui pour la combattre. Tenter d'échapper aux loups était vain car ces animaux tenaces, endurants et surtout affamés n'abandonnaient jamais une traque.
D'un geste rapide, le jeune homme fit glisser sa pelisse de fourrure le long de son corps, dévoilant une musculature impressionnante et une peau transparente au point de laisser voir les veines. De larges bandes de cuir se croisaient sur son torse et maintenaient, plaquées contre son dos, deux fines épées.
Albaran se demanda de quelle manière il allait affronter les loups. Il pouvait s'il le souhaitait user d'enchantements car, malgré son jeune âge et son statut princier, il était un mage blanc. Néanmoins, l'idée même d'utiliser la magie contre des bêtes sauvages, aussi féroces soient-elles, rebutait Albaran. Il était déshonorant pour un mage blanc de se servir de ses pouvoirs pour abattre un ennemi faible et sans défense magique.
« C'est à la force de mes bras et avec mes deux épées que je décimerai ces animaux sanguinaires », décida Albaran, conscient que combattre à l'arme blanche une meute de loups avides de chair fraiche pouvait mettre en péril son voyage en cas de blessures graves.
Le prince d'Hantera avait une mission de la plus haute importance : il devait se rendre à Isgard et trouver la fille aux yeux d'émeraude pour lui remettre le sceptre d'Yrion. Cependant, Albaran n'avait aucune idée de ce qui se passerait lorsque cette mystérieuse fille en prendrait possession . La seule chose qu'il savait : c'est que son périple allait être long et semé d'embûches.
Le prince observa une dernière fois les empreintes. Les loups allaient être son premier vrai obstacle depuis son départ.
— Il est temps ! dit-il en fermant les yeux.
Le jeune homme s'agenouilla dans la neige, se concentra, puis entra dans une transe intense. Il demeura immobile dans cette posture de méditation plus d'une heure, laissant le froid se glisser sous sa peau et jusque dans ses veines. Un homme ordinaire serait mort en quelques minutes, mais pas Albaran. Au contraire, la froidure le fortifiait et lui conférait une prodigieuse énergie.
Lorsque la meute arriva à proximité d'Albaran et s'approcha de lui, une onde glacée se fit sentir. Les fauves reculèrent par instinct et furent déroutés par l'attitude de cette proie qu'ils avaient prise en chasse car elle ne bougeait pas, ne fuyait pas et dégageait une aura glaciale troublante.
Le jeune homme sourit imperceptiblement : il savait ce qui effrayait les loups. Les animaux avaient ce sixième sens qui leur permettait de sentir immédiatement une atmosphère surnaturelle. Les loups finirent par tourner autour d'Albaran, tiraillés par la faim, et ne le lâchèrent pas du regard. La gueule ouverte, ils lançaient de petits grognements et le jaugeaient en attendant l'affrontement.
Le prince d'Hantera se redressa, s'empara de ses deux épées, les fit glisser le long de ses flancs et maintint fermement les lames contre ses cuisses. Sans bouger, il attendit les hostilités.
Soudain, les mâchoires des loups claquèrent sèchement, et leurs cris se firent de plus en plus intenses. Ils allaient entamer leur assaut.
Trois des bêtes se jetèrent sur Albaran qui, en une fraction de seconde, virevolta sur lui-même, fit tournoyer ses épées gracieusement et asséna trois coups fatals. Les loups, morts sur le coup, n'avaient pas encore touchés le sol que leur bourreau avait déjà repris sa position initiale.
Les sept autres prédateurs grognèrent, la salive coulant de leurs gueules en filament visqueux. Ils observèrent le jeune homme, le regard droit et pesant, puis cherchèrent un angle d'attaque.
Un duo de loups, babines retroussées et crocs dehors, lança une charge. Albaran, avec une rapidité qui dépassait l'entendement, projeta ses épées vers ses assaillants enragés. Dans un sifflement léger, deux tourbillons acérés fusèrent en direction des loups et les frappèrent en pleine tête. Les bêtes s'effondrèrent lourdement dans la neige, leurs poils gris imprégnaient d'un rouge poisseux.
Deux autres fauves sautèrent sur Albaran croyant le surprendre, mais ce dernier avait déjà anticipé leurs mouvements. Avec une unique prise exécutée à la vitesse de l'éclair, il leur brisa la nuque et les laissa inertes sur le sol sans leur prêter la moindre intention.
Les trois derniers loups de la meute se rassemblèrent. Oreilles rabattues vers l'avant, queue dressée, échine hérissée et canines sorties, ils hurlèrent pour se donner du courage et intimider leur proie.
« Stupides animaux, se dit Albaran. L'abandon est votre seul salut et vous vous obstinez à vouloir me combattre. »
Le prince d'Hantera pirouetta et roula dans la neige pour se saisir d'une des lames plantées dans le crane d'une bête. Pensant à une manœuvre de fuite, les loups attaquèrent aussitôt Albaran qui en un seul coup d'épée circulaire, fit voler leurs têtes dans les airs.
Tout était fini. Il n'y avait plus aucune menace, et le silence régna à nouveau dans la plaine glaciale.
Le jeune homme regarda ses épées qui dégoutaient de sang et les nettoya sur le pelage des animaux morts. Il remit ensuite sa pelisse et quitta les lieux du carnage, laissant les dépouilles des loups aux charognards du secteur qui à coup sûr n'allaient pas tarder à venir pour se repaitre.
Après avoir fait quelques grandes foulées, Albaran examina une boussole puis regarda au sud. À l'horizon, pointait une forme conique sombre comme le charbon : c'était Le volcan Räunga, sauvage et indompté. Le prince d'Hantera n'avait d'autre choix que de le franchir pour se rendre à Manldinar puis continuer sa route vers le royaume d'Isgard.
« Mon périple est loin d'être fini », pensa Albaran.
Il avait raison, son aventure ne faisait que commencer.
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Princesse Ania - Menace sur Angard - Tome 1
FantasyAnia, la princesse du royaume d'Isgard, fille de Théodoros et Thelma Kårde, vit sous la malédiction de la sorcière Iorga depuis sa naissance. Elle n'a ni la parole ni de sens, et seule la vue lui permet de garder contact avec le monde qui l'entoure...