Chapitre 6

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Retour en arrière...


De longues secondes s'écoulèrent en silence après la tirade de Paul Duquesne. Enfin, Allan se décida à prendre la parole, et m'empoigna par le bras.

- Nous avons besoin de quelques minutes pour réfléchir, dit-il d'une voix inflexible. Seul à seule.

Duquesne évita son regard et donna son accord d'un signe de tête. Je sentais la tension qui l'habitait et percevais nettement son rythme cardiaque accéléré. Il craignait que nous annulions tout.

Je sortis à la suite de mon ex-mentor et refermai soigneusement la porte derrière nous. Je ne pouvais donc plus voir ce qui avait lieu dans la chambre médicalisée, mais entendre à travers la porte ne me posa aucun problème. Duquesne rassura sa fille à voix basse, puis se tut.

- Les choses se déroulent comme l'avait prévu le directeur, notai-je platement. Duquesne croit que c'est lui qui décide et que nous ne pensions pas avoir à transformer la petite.

- C'est un homme politique, il a besoin de sentir qu'il a du pouvoir, acquiesça Allan en s'adossant au mur.

- Il n'empêche que je ne suis toujours pas d'accord avec tout ça. C'est une mauvaise idée, ça pourrait mal se passer. On devrait insister pour qu'il choisisse une autre personne.

- Luna, on doit appliquer les ordres. On ne peut pas interférer, pas cette fois !

Le GEN passa une main dans sa barbe. J'entendis le maire s'agiter dans la pièce voisine, mais mariner un peu dans son jus ne lui faisait pas de mal. Je soupirai, sachant parfaitement qu'Allan avait raison.

- Tu crois qu'il se sentira redevable à Marx si on se contente d'injecter le sérum à l'un de ses employés ? Il ne faut pas juste qu'il voie la mutation, il faut qu'il pense que c'est une bonne chose pour tous.

- Je sais, grommelai-je. Je sais. Mais ce que je crois surtout, c'est que Marx ne se rend pas compte de ce qu'on risque. Imagine que ça dégénère, qu'elle soit incontrôlable ?

La réponse, je la connaissais pour avoir glissé au fond de mon sac un pistolet minuscule et muni de balles tout aussi petites, en composé et remplies de poison. Hors de question de laisser un GEN totalement fou dans la nature. Marx ne se préoccupait pas d'un mort de plus, bien sûr. Si Nina devenait un monstre assoiffé de sang, il suffirait de se débarrasser d'elle, et tant pis pour l'approche diplomatique des humains. Le directeur avait d'autres contacts, et sinon, la guerre serait immédiatement déclarée.

- On y va ? suggéra alors Allan.

- Il faut bien, dis-je. Mais je te préviens, je ne le sens pas du tout. Hormis Irina qui avait onze ans quand elle a reçu son injection, aucun enfant aussi jeune n'est devenu un GEN digne de ce nom.

- Marx a depuis longtemps compris que transformer des humains très jeunes n'augmentait pas ses chances d'en faire des sujets parfaits – ça, c'était la théorie des années soixante. Mais les circonstances nous y forcent aujourd'hui.

Je serrai les doigts sur mon sac. Nous ne pouvions pas retarder indéfiniment l'échéance.

- Rappelle-moi juste ce que sont devenus ces enfants, ceux qu'on transformait à cette époque, alors qu'ils avaient encore du lait au coin de la bouche ?

Allan haussa les épaules sans répondre. A son expression, je vis qu'il pensait à la même chose que moi. Aucun des enfants dont je venais de parler n'avait survécu. Avant dix ans, le corps supportait mal le changement brutal survenu dans le génome de l'individu, et même au-delà, mieux valait attendre l'adolescence. Sans cela, il était fort possible de se retrouver avec un hémi-génique – un GEN à moitié amélioré seulement – voire avec un futur Déformé, la cervelle rongée par la folie. Il convenait d'ailleurs de rappeler, que parmi les essais effectués concernant ce nouveau sérum, quelques-uns avaient eu lieu sur des primates en raison de leur proximité avec l'espèce humaine. L'un des couples de chimpanzés transformés un ou deux mois auparavant avait à la suite de cela fait des étincelles. Ils étaient parvenus à sortir d'une cellule destinée au Déformés, puis, pendant que Youna, la femelle, distrayait les gardes prévenus par N.I.A, son mâle, Tingo, avait craqué le code de l'ascenseur sans le moindre mal. Pour finir, Youna avait été abattue non sans avoir arraché une main à une collègue du docteur Malcolm. Quant à Tingo, il errait à l'heure actuelle dans la nature après avoir arraché lui-même son émetteur GPS, et ne laissait derrière lui aucune trace, preuve de son intelligence hors du commun...

GENESIS (3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant